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[lu] syster, roman de bengt ohlsson

Phébus éditions, littérature étrangère, 290 pages, avril 2011, 21 euros
ma chronique pour l'opération Masse Critique de Printemps de Babelio  

en quatrième de couverture :  La soeur de Marjorie disparut un vendredi, début mai ". Ce jour-là, Miriam n'est pas rentrée de l'école, mais on l'a vue marcher, là-bas, du côté de la colline... Si ses parents sont angoissés, Marjorie, elle, semble hors d'atteinte, indifférente, insondable. Ou... peut-être se réjouit-elle un peu, un tout petit peu de cette disparition car, après tout, il y avait parfois des jours où elle ne l'aimait pas trop, sa grande soeur Miriam... Alors, pour l'éloigner d'une ambiance saturée de désespoir, sa tante Ilse l'héberge. Et, de jour en jour, tente de l'aider à voir un peu plus clair en elle, à distinguer l'amour de la haine, la jalousie de la générosité, l'aveuglement de la lucidité. En somme, elle apprend à Marjorie à grandir et à assumer ses contradictions. Véritable tour de force, Syster restitue à la perfection le regard multiple, voire parcellaire, que tout être pose sur ses proches, sur les paysages et sur le monde. - Bengt Ohlsson est né en 1963 à Stockholm, où il vit toujours. Il est chroniqueur pour le grand quotidien national Dagens Nyheter. Sa carrière littéraire a commencé en 1984 avec la parution de son premier roman, Do som en man, sa jag. En 2004, il connaît la consécration, lorsque lui est décerné le plus prestigieux prix littéraire de Suède, le prix August, pour Gregorius. En 2008, Bengt Ohlsson est récompensé par le prix Eyvind Johnson. Syster est son neuvième roman. Lors de la dernière ruée sur Masse Critique en avril, j'avais mis Syster en second choix. J'ai oublié le titre du roman que j'avais demandé en premier, et que je n'ai pas reçu ! Peu importe, Syster, c'était une bonne, une excellente pioche ! Merci, les ours de Babelio !

C'est le titre qui m'avait attirée, comme souvent. Très bonne décision que celle de ne pas le traduire du suédois. Sœur ou Frangine, ça n'a aucun mystère. Sister déjà c'est mieux, mais Syster est formidablement et simplement étrange. Comme est étrange le roman de Bengt Ohlsson, traduit du suédois par Anne Karila.

Étrange, mais pas étranger. A part peut-être “ Ilse ”, le prénom de la tante de Marjorie, rien de folklorique pour localiser les personnages, le décor et l'action de Syster. Action est un terme qui convient mal pour ce roman d'atmosphère qui raconte le bouleversement psychologique d'une gamine confrontée à la disparition de sa soeur aînée, adolescente. On ne saura pas l'âge exact de Marjorie, disons onze-douze ans.

Au début, dans les jours qui suivent le drame - fugue ou enlèvement, on ne sait pas - Marjorie est encore complètement du côté de l'enfance et de la pensée magique : si Papa touche au réglage de l'essuie-glace avant que le feu passe vert, alors Miriam ne reviendra jamais... Marjorie se raconte des histoires tristes, mais ne pleure pas. Marjorie en veut à Miriam d'avoir tout gâché en quittant la maison. Miriam qui était si drôle, si brillante, même si elle était souvent arrogante. On était bien dans cette famille, on riait, on blaguait, et maintenant qu'elle n'est plus là ce n'est plus possible, tout devient sinistre. Marjorie veut seulement que cela redevienne comme avant, quand les parents et sa sœur riaient de ses clowneries de petite fille pleine de vie.

Est-ce une bonne idée qu'ont ses parents de confier Marjorie à une tante qu'elle connait peu, solitaire et neurasthénique, habitant une grande maison isolée proche de la mer ? On en doute, d'abord. Cela ressemble trop à un abandon, surtout pour Marjorie. Mais peu à peu une relation originale et forte se construit entre la petite fille et la femme vieillissante. Son nouvel environnement a aussi un effet bénéfique sur l'enfant : la maison, le jardin, la lande, le sable, les pierres, la mer, un chat.

Dans l'histoire du passage de Marjorie, de l'enfance à l'âge de raison, et de son apprentissage du deuil, il y aura des ratés, des rechutes, des petites révoltes, des expérimentations. Tante Ilse avec sa propre histoire de femme douloureuse, mais apaisée, aidera la jeune fille à s'intéresser autrement au drame familial, et à s'ouvrir aux autres.

Et un jour, Marjorie pleure. Elle qui n'était que joie et jeux, découvre la gravité, la réflexion, la peine. Elle a compris petit à petit qu'on ne lui demandera pas de remplacer Miriam, et que, avec le temps, personne ne lui en voudra plus jamais d'être vivante, de rire, et de jouer.

Syster est un roman d'une douceur étrange, un peu perverse, bouleversante. Un peu ce que j'ai déjà ressenti avec le Tour d'Ecrou de Henry James, ou encore mieux, avec Expiation de Ian McEwan. Tout est vraisemblable dans l'histoire de Marjorie et de sa relation avec Ilse, mais cette hésitation savamment contrôlée à verser du côté de l'onirique donne un charme envoûtant au livre de Bengt Ohlsson.

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Extrait, page 105 :

“ Marjorie suivait les mouvements du torchon humide sur la vaisselle. Il lui vint alors à l'idée qu'un esprit pourrait sortir de l'une des assiettes. Elle pensa à tous ceux qui avaient coupé des côtelettes et piqué les petits pois à la fourchette dans ces assiettes. Tous ceux qui avaient mangé en silence à la table d'Ilse, tous les yeux joyeux, tristes ou rêveurs qui s'étaient baissés sur ces assiettes.
Marjorie se demandait de quelle assiette l'esprit s'élèverait. ”

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