[nabe, abiker] 11 heures, vendredi 26 novembre, café carette
samedi 08 janvier 2011
Drôle d'endroit pour une conversation avec Marc-Edouard Nabe ...
Pas tant que ça ! Et au final un entretien fleuve d'une heure et quart, à propos duquel, le journaliste rapporte que :
« Nabe a voulu que l’on parle de son texte surtout, que l’on rentre dans certaines scènes de mon choix et que l’on parle des mots et des phrases. »
N'empêche, dans cet entretien, Nabe dévoile mine de rien la feuille de route (roadmap pour les geeks) de marcedouardnabe.com :
« Quand rééditerez-vous Au régal des vermines ?
L’année prochaine [2011]. Et je pense arriver à ce rythme de publication : une réédition, un inédit, une réédition, un inédit, et toujours présentés de la même façon. »
Voilà qui satisfera bientôt j'espère, la curiosité des visiteurs qui arrivent sur mon blog en gougueulant :
Prenez le temps, découvrez le contenu intégral de l'entretien, passionnant, foisonnant.
Je note seulement ici quelques pépites, de mon point de vue... le reste est aussi formidable, lisez la source !
internet préserve (développe ?) la passion de la recherche, la curiosité, pour peu qu'on se donne le temps...
David Abiker : Quel est le bon côté de la virtualité ? Quel est le mauvais côté ?
Marc-Edouard Nabe : Le mauvais côté c’est que ça remplace l’imaginaire. Ca empêche d’imaginer les choses puisqu’on donne une fausse réalité à palper. Et toujours plus vite, plus superficiellement. C’est dans un mélange de lambinage et de précipitation que le virtuel nous fait vivre. Les choses mettent beaucoup de temps à se faire et quand elles se font, elles se font aujourd’hui d’une façon précipitée. Et donc on ne peut rien faire. On est toujours haletants à essayer de poursuivre le temps.
DA : Le virtuel risque de compliquer les apprentissages demain ?
MEN : Oui bien sûr mais on peut aussi s’en servir correctement. Internet c’est formidable si vous savez chercher, lentement, méticuleusement, comme autrefois les gens de ma génération dans les bibliothèques. Ils pouvaient chercher des heures ce qu’ils désiraient, perdre du temps à faire une photocopie d’un texte, attendre pour avoir les choses, patienter.
DA : C’était chiant. Pardonnez-moi.
MEN : Oui c’était chiant mais il y avait la passion du fond. Si aujourd’hui Internet préserve cette passion de la recherche, c’est formidable et je connais plein de jeunes gens qui ont cette passion de la recherche sur Internet, des gens qui se donnent du temps et qui utilisent formidablement cet outil. Si en revanche ils font ça pour ensuite être écœurés, pour ne plus avoir le désir parce qu’ils ont trouvé tout de suite, qu’ils savent tout tout de suite de la chose, alors ça c’est lamentable. C’est pour ça que je suis vraiment hostile à cette « wikipediatisation » de la communication humaine. Par exemple, avant de rencontrer quelqu’un, on regarde sa fiche Wikipedia… Et puis après on le rencontre… Comme ça on sait tout de lui, on regarde son Facebook. Toute rencontre n’est que confirmation ou infirmation d’une fiche genre Renseignements Généraux… C’est vraiment très policier je trouve d’aller voir quelqu’un en ayant lu d’abord sa fiche Wikipedia, en sachant à peu près tout de lui. Quand on le rencontre, on n’est pas surpris. On a déjà dans la tête un a priori qui a été formé par qui ? Par quatre connards anonymes qui ont décidé de mettre en valeur plus ou moins telle ou telle partie de votre existence.
DA : Moi j’ai lu la vôtre pour combler des lacunes, connaître votre âge…
MEN : Voilà, mais vous n’auriez pas dû ! Moi je n’ai pas lu la vôtre. C’est beaucoup plus intéressant. C’est un peu comme dans la prostitution : avec les nouveaux réseaux Internet, on connaît tout de la fille, il y a des photos, ses mensurations et après on la choisit comme dans un catalogue. Je préfère être dans la rue, au hasard.
deux scènes racontées par Nabe que l'on pourrait bien retrouver plus tard dans un de ses nouveaux livres...
MEN : Même ici, chez Carette, quand je suis arrivé, j’ai erré un peu pour m’installer. On m’a pris pour un dangereux terroriste qui voulait explorer les lieux. On m’a demandé : « Qu’est-ce que vous faites ici ? Où voulez-vous vous mettre ? Mettez-vous ici. » Non, moi on ne me dit pas où je vais me mettre. Et avant que vous n’arriviez à la table, la serveuse voulait me faire déplacer parce qu’elle pensait que j’étais seul et que j’occupais pour rien une table pour deux. Ô manque à gagner quand tu nous tiens !…. Vous voyez ? Des choses comme ça, pour plus tard, c’est intéressant de les signaler. Raconter une civilisation dont les bars et salons de thé sont obsédés à l’idée de vous déplacer ! Alors que vous allez dans n’importe quel pays du Moyen-Orient, même en guerre, en Italie n’en parlons pas ou au Maroc… Moi je suis allé au Maroc cet été, c’est délirant… Je parle de la vie de la rue. Elle est délirante de liberté. D’abord, on fume partout. J’ai vécu une scène extraordinaire. Un type passe devant une terrasse, il a une cigarette aux lèvres, il prend en marchant un briquet sur une table et il allume sa cigarette sans demander la permission au propriétaire du briquet. Et il redépose le briquet quatre tables plus loin. La personne sur la table de laquelle il a déposé le briquet, le prend et le refait passer à celui à qui il a été emprunté. Tout ça sans un mot, sans une formule de politesse. Mais tout ça dans une gaieté et un naturel merveilleux. Ici, à Paris, c’est devenu impossible une scène pareille. Mais au Maroc vous pouvez le faire !
la recette pour écrire un roman commercial, ou quand Nabe fait du Hitchcock...
DA : Dans le livre, il y a justement une scène chez Colette assez délirante, une déambulation dans le magasin qui se termine par un déjeuner.
MEN : Oui, c’est un moment du livre où Jean-Phi emmène le narrateur dans ce magasin, Colette. Ils ont d’ailleurs eu au préalable une discussion sur le roman commercial, le blogueur lui suggérant qu’il a cessé d’écrire car il n’était pas capable de faire un roman commercial. Et le narrateur s’apprête à lui donner les ficelles du roman commercial mais la scène est coupée et ils passent à autre chose. J’ai d’ailleurs la recette du roman commercial. Vous pensez bien qu’en 25 ans de littérature, j’en ai rencontré des gens qui me disaient « mais pourquoi ne fais-tu pas des choses plus commerciales ? »… Ils vont donc déjeuner chez Colette et...
Et... voilà ! Si ça, ce n'est pas de la mise en abyme romanesque ! L'écrivain raconte au journaliste une scène de son roman dans lequel un personnage élude une révélation... et dans la vraie vie, l'écrivain élude lui aussi la même révélation, en revenant en arrière dans la discussion avec le journaliste !