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[rentrée littéraire] l'envers du monde, roman de thomas b. reverdy

aux éditions du Seuil, août 2010, 265 pages

Voici ma cinquième et dernière lecture pour les Chroniques de la rentrée littéraire 2010, en partenariat avec Ulike et Cultura.
La première est là, la seconde est ici, la troisième là-bas, la quatrième est ailleurs.
site des Chroniques de la rentrée littéraire

18 euros Encore une lecture "au hasard" (sans rien savoir de l'auteur, sans a priori), grâce à Abeline Majorel qui a sorti pour moi un volume un peu écorné de son grand tiroir à romans, en souriant : cadeau !
Je me sentais jusque là un peu frustrée côté nouveautés françaises, n'ayant rien lu qui me paraisse à la hauteur de l'excellent roman islandais Rosa Candida, découvert cet été.
Avec L'Envers du monde, je me suis (enfin) intéressée à l'histoire et aux personnages inventés par l'auteur, j'ai aimé la contruction efficace du roman, et enfin le style calme et posé mais puissamment évocateur.

 Sur le 9/11 je n'avais lu jusqu'ici qu'une seule fiction littéraire : L'Homme qui tombe de Don DeLillo, magnifique.
Dans son roman, Thomas B. Reverdy met en scène son double, Simon, jeune écrivain français venu s' installer à Manhattan en 2003 pour recueillir des témoignages qui lui permettront, espère-t-il, d'écrire à propos d'événements qui relèvent de l'ineffable : le deuil, la disparition.

" Il y a le motif de la cendre, par exemple, ou de la poussière. Les scènes centrales des écrivains [américains] qui s'y attaquent tournent autour de ça, même chez Don DeLillo qui croit prendre une autre image avec son Falling Man, en fait sa scène primitive, si je puis dire, ce n'est pas l'homme qui tombe, c'est le mari qui rentre chez lui couvert de cendres. C'est très frappant. C'est évidemment lié à un imaginaire religieux, le discours sur la mort est en fait, discours sur la vanité de l'existence. Le problème, c'est que c'est un discours à double tranchant. Les tours étaient vaines, d'une certaine manière, dans l'exhibition de leur désir de puissance et de richesse. C'est une sorte d'impasse. On l'a dit souvent, "Dieu ne peut pas se déclarer la guerre". Alors, comment le raconter ? "

Thomas B. Reverdy choisit de nous raconter une histoire de mort, de remord et de rédemption apparemment déconnectée de l'attentat du 11 septembre, mais qui prend toute sa dimension inquiétante et tragique parce qu'elle se déroule en bordure de l'excavation de Ground Zéro.
L'immense chantier, déblayé des ruines des tours jumelles, mais encore vierge de toute construction mémoriale, est au centre du roman.
Ce vide de béton symbolise l'absence, la disparition. C'est un "lieu-qui-n'est-le-lieu-de-rien"  : "Le monde et sa vie s'y étaient retournés comme un gant."

L'envers du monde est écrit en très courts chapitres groupés en trois parties, une pour chacun des prénoms des trois caractères principaux : Pete, Candice et Simon.
"Tout le monde a ses fantômes."
Pete, est celui des trois qui a vécu au plus près le drame de septembre 2001, en participant aux secours. L'ancien policier n'a pas digéré le traumatisme. Persuadé de n'avoir pas mérité sa médaille de héros, il ne supporte pas son statut de survivant.
Candice, est une veuve du 11 septembre. Pendant de longues heures, elle a attendu ce jour-là le retour de son son compagnon qui travaillait dans une tour du WTC. Contrairement à Pete, elle n'a jamais accepté de partager son traumatisme avec les autres, dans un groupe de parole. Le jogging est sa thérapie personnelle.
Simon le français, témoin télévisuel beaucoup plus lointain de la chute des tours, est celui que personne n'attend nulle part, que personne ne retient de partir. Sa douleur à lui, sa perte, remonte à l'enfance, tellement indicible qu'il lui faut venir jusqu'à Ground Zero pour la reconnaître et l'écrire enfin : "L'hopital, ses tempes nues, ses lèvres de pierre. L'étonnante absence de tout parfum."
Deux autres personnages importants de l'histoire n'ont pas de prénoms dans le roman. Il y a le commandant O'Malley, chargé au FBI de l'enquête sur la mort de Mohammad Sala, l'ouvrier dont le corps a été retrouvé dans la boue du chantier et que personne ne viendra jamais réclamer. Il y a aussi un garçon sans identité, voyou aux déambulations suspectes, sorte d'ange de la mort.

Décor et personnages bien en place, Thomas B. Reverdy nous fait vivre au quotidien la vie de Pete, de Simon et  de Candice pendant une semaine de canicule du mois d'août 2003, à Manhattan, à Brooklyn, et à Cosney Island. Le meurtre de l'ouvrier musulman sur le chantier de Ground Zero, et l'enquête qui suivra, vont venir bouleverser les trois trajectoires de vie et précipiter les rencontres, deux à deux : Pete-Candice, Simon-Pete, Candice-Simon.

Très beau roman, très bien écrit, personnel malgré le thème et l'environnement décrit, et malgré le prétexte policier.

 

 

 

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