[danah a dit] mais non, la protection de la vie privée n'est pas enterrée
lundi 30 août 2010
La dernière fois que j'avais cité danah boyd ici, elle exprimait son de désenchantement vis-à-vis des trop nombreux nouveaux développements des réseaux sociaux, et des multiples et diverses possibilités offertes pour communiquer : il y a des jours où je me sens garce !
Cette fois, dans un article court et peu sociotechnique pour le magazine Technology Review, du MIT, danah semble avoir retrouvé sa stamina et son envie d'orienter chercheurs et développeurs de nouveaux media sociaux vers des fonctionnalités mieux adaptées aux habitudes des utilisateurs, notamment en ce qui concerne la protection des données personnelles.
Ayant oublié de décocher je ne sais quoi dans une requête gougueule, je suis tombée directement sur la traduction automatique en français (?) de l'article de danah. Stupeur et consternation, surtout que j'avais d'abord cru lire la prestation d'un "vrai" traducteur !
Vous trouverez la mienne (traduction) dans la suite de ce billet...
Mais non, la protection de la vie privée n’est pas encore enterrée...
- ou pourquoi la protection des données personnelles ne restera pas lettre morte -
La façon dont la confidentialité est actuellement gérée informatiquement dans les réseaux sociaux ne correspond pas du tout à ce que nous faisons dans notre vie quotidienne pour protéger notre intimité.
Chaque fois que Facebook annonce une modification de ses paramètres de confidentialité, ou qu’une technologie nouvelle ouvre à de nouveaux publics l’accès à des données personnelles, tout le monde pousse des cris d’orfraie. Cris et protestations qui restent sans réponses, comme s'ils tombaient chaque fois dans les oreilles de sourds.
Le pourquoi de ce hiatus, c’est que dans le monde de l’informatique, la question de la confidentialité est souvent résolue par des techniques de contrôle d’accès. Pourtant la protection des données privées ce n’est pas que la gestion des droits d’accès aux dites informations. Ça concerne aussi la prise en compte d’un contexte social donné et la compréhension de la façon dont l’information circule, puis dont elle est reprise et partagée. Au fur et à mesure que les média sociaux se développent, il faut repenser la prise en compte de la confidentialité dans les systèmes informatiques.
La confidentialité et l’intimité ne sont pas en totale contradiction avec le fait de tenir un discours public. Nous parlons tous les jours de choses intimes, en public. Assis au restaurant, nous sommes tout à fait conscients que la serveuse peut entendre notre conversation. Nous faisons confiance à ce que Erving Goffman a appelé la “discrétion civique” : les gens autour nous ignorent poliment, et même si ils nous entendent, ils ne se mêlent pas à nos propos, parce que cela serait contraire aux convenances sociales. Bien sûr, si c’est un ami proche qui est assis à la table à côté, tout est différent. Ce n’est pas le fait qu’un lieu soit public ou pas qui compte. C’est la situation.
Quand nous sommes engagés dans une conversation en face-à-face, nous modifions notre comportement en fonction de repères comme par exemple : qui est présent à proximité, et jusqu’où portent nos voix. Nous nous fixons entre interlocuteurs un accord de confidentialité, soit clairement -- “s’il te plaît, n’en parle à personne” --, soit par entente tacite -- “fermons la porte” --. Quelques fois, ça ne marche pas. Un ami peut cancaner dans notre dos, ou bien ne pas avoir compris ce que nous pensions avoir fermement sous-entendu. Quand cela arrive, nous nous interrogeons sur notre interprétation de la situation, ou sur la confiance que nous pensions pouvoir mettre en notre ami.
Tout cela reste valable sur internet, mais avec des complications nouvelles. Les “cloisons numériques” ont -- pour ainsi dire -- des oreilles ; elles écoutent, enregistrent et transmettent nos messages. Avant de pouvoir communiquer convenablement au sein d’un réseau social comme Facebook ou Twitter, nous devons développer notre capacité à comprendre ce que les gens souhaitent partager, et comment.
Lorsque des changements interviennent dans les réglages ou les options de confidentialité mis à notre disposition, nous sommes enclins à contester le système, plutôt qu’à modifier notre comportement. De tels bouleversements nous apparaissent comme synonyme de contraintes imposées dans nos relations, et sapent notre confiance dans le recours aux normes sociales existantes. Les gens qui peuvent être qui ils veulent, là où ils le veulent, sont une minorité privilégiée.
Au moment où les réseaux sociaux font de plus en plus partie intégrante de notre vie quotidienne, l’écart se creuse entre les réglages de confidentialité tels qu’ils sont conçus par les informaticiens pour des machines, et la vision beaucoup plus subtile de la protection de la confidentialité qu’ont les personnes réelles vrais gens. C’est à cause de cette différence de conception, que l’on verra de plus en plus de chocs culturels et de dérapages sociaux.
Seulement,
d’un côté les gens ne vont pas quitter les réseaux sociaux, et de
l’autre : le besoin de confidentialité ne disparaîtra pas. Les
utilisateurs vont tout naturellement s’efforcer d’aménager dans les
systèmes un espace sur-mesure pour la confidentialité telle qu’ils la
conçoivent, et souhaitent la contrôler. Ils utiliseront des pseudonymes
ou s’exprimeront en langage codé.
Au lieu de pousser les utilisateurs vers ces comportements, pourquoi ne calquerions-nous pas le support de la confidentialité dans les réseaux sociaux sur le fonctionnement humain et naturel vis-à vis de la protection des données personnelles ? On peut dire énormément de choses en faveur de l’apport énergétique de la diversité, vue comme un soleil. Mais attention, trop de soleil brûle la terre. Créons une forêt, pas un désert.
l'article original : Why Privacy Is Not Dead - The way privacy is encoded into software doesn't match the way we handle it in real life. By Danah Boyd.
danah boyd is a social-media researcher at Microsoft Research New England, a fellow at Harvard University's Berkman Center for Internet and Society, and a member of the 2010 TR35.