mon panthéon est décousu
vendredi 16 juillet 2010
dans les poches on trouvera, par ordre alphabétique : etaix, fellini, nabe, obaldia, parker, picasso, simenon, siné, sternberg, vialatte, zanini
C’est aussi une mise en garde du lecteur : ce billet ne sera qu’un brouillon mal foutu, pas bien ficelé, incohérent.
Depuis quelques jours je sens venir une idée diffuse que je voudrais partager, mais je n’accouche de rien.
Ça vient de lectures récentes, d’écoutes à la radio, de rencontres. Elles forment les éléments d’un puzzle énigmatique que je peine à reconstituer. Il doit manquer des pièces...
Et le panthéon dans tout ça ? C’est justement de là que c'est parti.
Est-ce que les gens qui ont le même - panthéon, pas pantalon - se ressemblent ?
Est-ce que nos admirations nous décrivent, nous définissent ?
Dis moi qui tu aimes, je te dirais qui tu es ?
Deux personnes qui ont les mêmes (admirations) peuvent-elles se mépriser, se détester ?
Ma première histoire de panthéon est positive, extatique. Elle est racontée par un blogueur sensible dans un billet lyrique et sympathique. Il y est question de Pierre Etaix, d’Alexandre Vialatte, de Marcel Zanini. René de Obaldia apparaît dans un commentaire. Lisez-le.
La seconde histoire est plus grinçante, mais édifiante. J’avais été frappée en lisant les Fragments d’autobiographie de Jacques Sternberg (Profession : mortel) par certaines coïncidences de goûts artistiques entre Le Dériveur et Marc-Edouard Nabe : Monk, Parker, Young, Siné, Topor, Simenon. Alors grâce à l’index du Journal intime (Nabe’s dream, volume 1), j’ai facilement retrouvé traces de rencontres entre les deux hommes.
- Vendredi 4 mai 1984 (page 405)
"J’écoute une interview de Jacques Sternberg avec une lecture d’un texte autobiographique assez amusant. Sternberg est un typique auteur raté et complaisamment vautré dans son échec, faux artiste complexé... ! Pourtant bien des choses qui passent agréablement dans son intervention radiophonique auraient pu nous rapprocher : le mépris des éditeurs et des écrivains, l’idolâtrie de Lester Young, l’amour du dessin humoristique, Siné, Gébé, l’antiscolarité, l’anti-intellectualisme, la polémique, Monk, Parker, l’horreur des voyages, la difficulté à publier... Hélas, trop d’"insolite", d’"humour", de "fantastique", de "B.D." et de "sport" pour moi. Quelques bonnes phrases balancées dans le Magazine littéraire ne suffisent pas à sauver quarante livres ratés, hors tradition, sans violence ni gaieté, sans force cosmique, épique ni tragique..."
- Mardi 11 décembre 1984 (page 748)
[soirée du mardi à la rédaction de Hara-Kiri]
"Un autre connard à qui nous avons affaire ce soir, c’est Jacques Sternberg. Je ne risquais pas de le louper, ce sinistre raté ! En 1981, je lui avais fait parvenir Bloc Neigeux. Ne m’ayant jamais répondu, je lui ai envoyé une lettre d’insulte marrante. Je croyais que ce “maître de l’humour noir” apprécierait cette façon de me présenter à lui. Au contraire, il fait l’indifférent fermé, assurant qu’il n’a rien reçu. Plus tard j’essaie de lui faire serrer la main de Marcel, en tant que lestérien, jazzfan, etc. Ostensiblement, il fait exprès de tourner la tête pendant que mon père et moi lui parlons de Parker et de Monk... Devant cette attitude insupportable, j’entraîne Marcel loin de ce pauvre type."
En 84, Nabe a vingt-six ans et Sternberg né en 1923, a exactement le même âge que Marcel Zanini. Le fils a pris comme un affront irréparable fait à son père, la gaffe stupide et peu excusable de Jacques Sternberg. Le Dériveur est visiblement passé complètement à côté de Nabe. D’ailleurs il ne s’intéressait pas à grand-chose... et surtout pas à la littérature, disait-il lui-même. Coquetterie d’écrivain ? Pourtant Sternberg parle bien et longuement de l’écriture dans Profession : mortel. Mais il est vrai que sur ce point là aussi les deux personnalités s’opposent. Auteur prolixe lui aussi, Sternberg, à la différence de Nabe, ne retravaillait pas volontiers ses manuscrits, par paresse disait-il. Il reconnaissait cependant que cela aurait sensiblement amélioré la qualité de ses romans, et sait-on jamais, leur popularité !
Troisième et dernière histoire. L’autre jour j’écoutais Guillaume Gallienne sur Inter (Ça peut pas faire de mal). Le comédien lisait Lettre à mon juge de Georges Simenon. Chef d'œuvre. Puis on entendait Simenon, sa voix traînante et chantante à la fois, parlant de son admiration pour Fellini, son alter ego. Ensuite Gallienne lisait une lettre de Georges à Frederico. Une merveille de lettre de fan. La voici.
" Lausanne, le 18 août 1976
Mon Cher Fellini,
Cela a été une grosse émotion pour moi de recevoir votre lettre. J'ai espéré un moment vous rencontrer en Suisse, mais je comprends très bien vos réactions et votre fuite. Tout ce que vous me dites me touche profondément car malgré mes soixante-treize ans et demi, je me considère encore, et je me sens comme un gamin.
Vous êtes probablement la personne au monde avec laquelle je me sens les liens les plus étroits dans le domaine de la création. J'ai essayé de le dire maladroitement dans une préface. Je voudrais que vous sentiez comme je me sens proche de vous, non seulement comme artiste, si je puis employer ce mot que je n'aime pas, mais comme homme et comme créateur.
Tous les deux nous sommes restés, et j'espère que nous resterons jusqu'au bout, de grands enfants, obéissant à des impulsions intérieures et souvent inexplicables, plutôt qu'à des règles qui n'ont pas plus de signification pour moi que pour vous. Elles en ont encore moins pour vous que pour moi, car il m'est resté de mon enfance où j'étais un petit garçon bien gentil et bien obéissant, une sorte de timidité.
Vous, vous êtes un fonceur. J'essaie depuis quelques années, c'est-à-dire depuis que je n'écris plus de romans, de le devenir. Mais il est possible que maintenant, comme les moutons enragés, j'exagère sans trouver le juste milieu.
Le rêve que vous me racontez ressemble à certains de mes rêves, mais je suis presque gêné d'avoir pris dans votre sommeil une telle importance, et d'avoir été pour une toute petite part dans la réalisation de votre Casanova.
Moi aussi je connais bien des moments où je tourne à vide, et cent fois dans ma vie, j'ai été tenté de ne plus écrire. Cela tient je crois, pour vous comme pour moi, à ce que nous connaissons des moments de dépression où nous nous sentons en quelque sorte inutiles et vides. Heureusement, vous surtout, vous rebondissez à chaque fois. Et plus vous vous êtes senti un moment tout en bas, et plus vous rebondissez haut.
Je crois, sans vouloir jouer les critiques et les analystes, que tout cela est tout à fait naturel et je jurerais volontiers que c'est arrivé un grand nombre de fois à un homme comme Michel-Ange ou à Léonard de Vinci.
Je vous admire depuis vos tout premiers films, mais ce que j'admire surtout, c'est que vous vous soyez dégagé de toutes les contraintes, de tous les tabous, de toutes les règles. Dans le monde du cinéma d'aujourd'hui, vous êtes unique, et vous le savez bien au fond de vous-même.
Et c'est parce que vous n'avez pas d'ego qu'il vous arrive de vous sentir seul et sans confiance en vous-même.
Continuez, mon Cher Fellini à nous donner des chefs d'œuvre contre vents et marées avec votre profonde intuition pendant que d'autres nous fabriquent des films sur mesure.
J'espère qu'un jour nous nous rencontrerons à nouveau, cœur à cœur, car je vous considère personnellement comme un frère, et c'est fraternellement que je vous embrasse, ainsi que Giuletta.Fidèlement votre, aussi bien sur le plan de l'affection, que sur celui de votre œuvre,
Georges Simenon "