[lu] kamikaze, journal intime 4, de marc-edouard nabe
vendredi 30 avril 2010
éditions du Rocher, mars 2000
C'est le quatrième et dernier volume publié du Journal intime de Marc-Edouard Nabe.
Le cinquième volume qui était en préparation a matériellement (?) disparu à Patmos en 2000 : c'est ce que Nabe raconte, au milieu de mille et une autres choses, dans Alain Zannini, roman paru en 2002.
Mille trois cent et quelques pages. J'ai pris en le lisant des pages et des pages de notes. J'ai choisi des extraits. Trop. Et je suis bien ennuyée maintenant pour écrire ce billet. Finalement j'ai décidé de relire mes notes, puis de laisser infuser comme pour une inhalation. Ce qu'il en restera ne sera que de la vapeur de vie d'écrivain, comparée à la densité et à l'exhaustivité de la matière travaillée quotidiennement par Nabe pendant plus de sept années, et restituée plus tard sous la forme de quatre merveilleux pavés littéraires.
Il faut lire le journal intégral de Marc-Edouard Nabe. Comme un roman. Absolument. Du premier au dernier jour.
Les précédents volumes du Journal intime sont : Nabe's Dream, Tohu-Bohu, Inch'Allah
Mai 88, Nabe va sur ses trente ans, ne digère pas bien sa rupture avec Nada, les otages au Liban sont libérés, Mitterand est réélu (toute coïncidence, etc.), Chet Baker meurt à Amsterdam.
bientôt
30 ans : bilan, crise morale
Dimanche 15 mai 1988.- [...] Je suis extrêmement réticent à devoir passer le cap de la trentaine, me transformer en père - moi, le plus fils des hommes - avec femme, enfants, villa, voiture, machine à laver...
“Quand tu as un enfant, tu n’as plus le droit de mourir.” Et si j’ai envie de mourir, moi ? Si cette évolution inéluctable me fait chier ? Si je ne veux pas avoir trente ans ? Si j’essaie d’échapper à mon sort ? Si je veux vivre en enfant toute ma vie ?...
Ce qui me freine ce sont surtout ces quinze années (1968-1983) que je n’ai pas encore transposées dans mes livres et je vis trop sur cette parano de la perte. Vouloir ne rien perdre m’empêche d’avancer ! Avec Le Bonheur, j’ai tourné les 10 premières années de ma vie (et celles de mes ancêtres), et je ne me fais pas de souci à partir de 1983 où tout est stocké dans ce journal... Mais entre les deux, il y a mon arrivée à Paris, le succès du Zanine, ma formation, ma puberté, Thiverval, Hara Kiri, Kirt, la guitare, le free jazz, Calmettes, les femmes, l’armée, Hélène, Salem, les croisières, jusqu’à la rédaction du premier Régal (Nabe’s Dream)...
Quelles fabuleuses mémoires pourrissent dans mon tronc, avec de ces personnages et situations !... Je vis 15 ans en arrière, c’est ce qui me tue. Si je pouvais me vider de ces oubliettes, je serais un homme. Je me lancerais dans de nouveaux mondes, je volatiliserais dans des espaces neufs, j’irais voir comment sont les Martiens, les Martiennes... Finalement, c’est un bien, ces 15 ans, ça me retient, pas que pour faire un enfant à Hélène, mais de fuir vers de dangereux horizons fantasmatiques aussi qui sait ?...
après Le Bonheur
- les mauvais comptes de Gallimard : les ventes du Bonheur sont beaucoup plus faibles que prévu, les retours des libraires inquiètent, l'espoir de publier en poche s'amenuise
- Marc Dachy a une idée : il faut publier le journal intime
- jazz à Calvi, comme l'an passé
- chez Tillinac en Corrèze
- un été dans les Ardennes, et pour la première fois le journal n'est pas quotidien, un mois en une entrée : Du 1er au 27 août 1988, trois sections vie intérieure, vie extérieure, vie artistique
mort d’un père : Sam Woodyard, le 20 septembre 1988
[...] Un de mes pères est mort. Après Orazi en 1979, aucun paternel de cette importance n’était vraiment parti. Je suis aujourd’hui profondément atteint. Je me serais bien passé de ce coup supplémentaire : l’année 88 n’en finit pas de me faire souffrir en accumulant des douleurs. L’année du Bonheur ! Un an après Freddie Green, Sam Woodyard est mort. Il faut y croire : c’est vrai. Une espèce de virilité, de complicité virile traverse la mort de Sam. Je me sens si fier d’avoir connu et aimé ce génie du jazz que ma peine le salue à travers le temps.
voyages
A l'automne, espoirs
de voyages à Istanbul et à New-York (pour Monk). Mais les Etats-Unis,
ça ne se fera pas. Par contre, Hélène et Marc-Edouard partent très excités pour la
Turquie un beau jour d'octobre. Quinze jours tous frais payés.
Je suis bien. On l'a fait quand même ! Je suis allé à Istanbul ! Maintenant il faut l'écrire : quel plaisir ! Le vrai voyage va enfin pouvoir commencer !
C'est formidable de pouvoir aujourd'hui comparer le journal intime d'octobre 1989 qui est celui d'un voyage à deux, avec Visage de Turc en pleurs qui est le récit publié en 1992 du voyage d'un homme seul. Le travail de transposition est magnifique à observer.
fin de l’année 88
Samedi 31 décembre 1988.- Alors, on se la termine cette année pour rien, cette année blanche, cette année nulle ? [...]
Entre les deux phrases que je cite, c’est le récit d’un réveillon raté chez les Dachy avec Albert Algoud.
[...] Nous terminons l’année comme elle devait finir : dans le malaise bizarre et la tristesse absurde.
Dimanche 1er janvier 1989.- [...] - Il est temps de changer d’amis... dit Hélène, pleine de résolutions radicales sur nos relations.
non non non
Les uns après les autres les projets et manuscrits déposés avec enthousiasme et confiance auprès d'éditeurs qui se disaient tout d'abord intéressés, sont délaissés par Arléa, Gallimard, Laffont, Grasset, Albin Michel, etc .
" [...] Vous trouverez un autre éditeur pour ce projet-là, pour le reste, je souhaite que vous ne vous engagiez pas ailleurs. Je vous rappellerai, soyez-en sûr. Au revoir."
Et voilà ! Au suivant ! Bien sûr, je vais remonter sur mon cheval tout de suite, le temps de me relever quand même après ce K.-O... Je suis solide, très solide comme un cow-boy criblé de flèches, mais ils ne sont pas censés le savoir, ces monstres de lâcheté et de goujaterie inconséquente. Jamais je n'aurais cru traverser une si mauvaise passe. Pire qu'il y a quatre ans ! L'après-Bonheur est plus difficile à vivre que l'après-Régal... Je n'arrête pas d'être refusé partout depuis deux mois. Ça fait beaucoup. Comme si j'étais impubliable. En fait, ils ne peuvent pas me soutenir parce qu'ils sont tous mouillés jusqu'au cou. Tous dans les médias de la putasserie absolue. Ils ont tellement honte qu'ils deviennent agressifs. Mais je persisterai ! Jusqu'au bout ! Je ferai le tour de toutes les maisons d'édition ! Plus ils me demanderont un roman tranquille, plus je leur donnerai du pamphlet.
mai 89, la fin du marasme ?
En avril, Nabe touchait le fond :
Chute de l’ange... Une déprime terrible me prend. La proposition dérisoire d’Albin + mon Istanbul qui traîne + l’hésitation à publier mon pamphlet + la bourse qui tire à sa fin + les possibilités d’appartement qui s’amenuisent + Barnabé qui n’est pas pressé de se concevoir...Et puis soudain, un voyage de détente aux Pays-Bas avec les Charnay pour visiter les musées (réussi), Hallier qui rechippe et relance L’Idiot, Sollers qui pousse Nabe à écrire dedans tout en acceptant d’autres textes pour L’Infini...
Ecrire, c’est vivre et publier, c’est revivre..
Opération réussie. Si demain, L’Idiot sort comme c’est prévu, j’aurai fait un beau tir groupé : L’Infini, La Quinzaine, Pivot, L’Idiot ! Mais c’est une résurrection ! L’espérance paye ! Positivité totale !
Vendredi 17 mai 1989.- [...] C’est la première fois que j’ai vraiment la sensation de sortir enfin du gris. Il était temps. Après un an ! Oui ! Ca fait un an que je marine morosement dans le marasme : ce journal a dû témoigner de ces mois nuls. Si je le relisais, je me redéprimerais moi-même !... Qu’est-ce que j’ai pu souffrir à me cogner de partout comme un bourdon affolé contre les vitres de l’Edition !...
positivité totale (ça continue)
- visite aux Tillinac en Corrèze et Castle-party en Charentes
- La Marseillaise va être publié au Dilettante. Siné dessine la couverture.
- changement d’appartement : pistonnés par Denis Tillinac (chiraquien !) auprès de la Mairie de Paris, les Nabe obtiennent un deux-pièces au 103 rue de la Convention (je connais bien le quartier !). Nabe fait ses courses bricolage chez Zolacolor, et dîne avec Patrick Besson chez Kushiken (!).
- rabibochage avec Hallier
- L’Idiot, la rédaction, la fabrication, du journalisme avec de la littérature inside!
- l’idée de publier le journal initialisée par Marc Dachy, fait son chemin, Patrick Besson est enthousiaste :
- D’habitude, les journaux sont des carnets de notes emmerdants, toi il y a une montée dramatique, tu avais raison de dire que c’était un super-roman. Et puis quelle santé, quelle cohérence... C’est le journal d’un champion de tennis... Tout est si logique dans ton comportement, si sain. Et quelle générosité... Tu n’es pas un déséquilibré. On en apprend beaucoup sur toi. Ça peut te faire un bien fou. J’ai beaucoup aimé Le Bonheur, mais à certains passages on se dit : “Pourquoi il transpose tant ?”. Tu n’as pas besoin de transposer. Le journal donne une forme si brute à ta vie et à ton écriture, c’est ta forme naturelle. Tu es un diariste. Et puis sur Sollers, Boujenah, Guers, tout ce que tu dis est génial. L’épisode de Bauby, mais c’est une dissection du journalisme extraordinaire ! Et Henric, qu’est-ce qu’il prend... Enfin, je vais te soutenir fortement chez Fixot. Si je pouvais je te donnerais cinquante bâtons. Ça les vaut. 150 000 par tome, c’est jouable. Je vais tout faire pour que ça marche. Ce serait un honneur pour moi d’avoir aidé à ce que ce journal soit publié.du côté de chez Fred
C’est en somme la revanche de l’émission catastrophe chez Dechavanne en 87. Nougaro, Siné et Fred (le dessinateur) sont là, invités pour l’émission de Marcel reçu par Frédéric Mitterand le 28 juin 1989.
interludeC’est vrai que ce Du côté de chez Fred a été élégamment construit à notre gloire par ce fin psychologue cachottier de Mitterand qu’Hélène va féliciter à la fin. Une étape médiatique a été franchie là, pour Marcel comme pour moi : le snobisme de cette émission propulse le Zanine à la place d’un jazzman aventurier et intellectuel ayant plein d’amis de qualité et, en ce qui me concerne, nimbe mon image diabolique d’un halo de “valeur sûre”, d’un indiscutable talent au-delà de toutes les détestations, de fils-poète sensible, calme et profond... Je sors de là très exalté ! Si Pivot, sur Le Bonheur, avait fait la moitié du boulot de Mitterand cet après-midi, c’était gagné pour mon roman.
Un peu hors propos mais pas tant que ça, voici ce qui s’est passé dans la vraie vie le jour où je lisais le Dimanche 4 juin 1989 dans Kamikaze :
Le plus grand dimanche de l’année... Les astres se déchaînent... Incroyable explosion de vie sur la planète.C'est la révolte des étudiants et le carnage de Tian Anmeen. Mais ce n’est pas tout, le 4 juin 1989, c’était aussi : l’ayatollah Khomeyni est mort !
Dans ma vraie vie nous étions le samedi 10 avril 2010 quand je lisais ça. Et le 10 avril 2010, c’était Katyn au carré...
bicentenaire de la révolution française
Marc-Edouard et Hélène sont en vacances à Belle-Ile avec Albert Algoud, sa maîtresse, et son fils. Ça ne se passe pas bien du tout... : incompatibilités d’humeurs et de comportements dans le petit groupe.
Vendredi 14 juillet 1989.- Si j’étais Louis XVI, j’écrirais : rien. Mais pour moi aucune journée ne mérite le néant, pas même la pire de l’année. [...]Le soir je regarde, ravi, le défilé raté de Jean-Paul Goude à la télévision. [...]
Même l’énorme Jessie Norman a l’air de chanter faux sa Marseillaise !... [...]
Ça fait ce que j’avais prévu dans ma Marseillaise à moi : enterrement. Et pas en grande pompe ! L’enterrement d’une certaine France, celle des droits de l’homme et de la démocratie frelatée. Ce 14 juillet, je le sens, c’est le début de la fin. Rideau sur l’esbrouffe !
une fin de décennie riche en événements historiques
En novembre 89, c’est la chute du Mur de Berlin, et pour la première fois, l’élection d’un maire noir à New-York.
Je fignole mon Toujours plus noir qu’Edern trouve si bon qu’il le colle à la une. Il n’en a pas marre de m’aimer ?
Évidemment on pense au tract Enfin Nègre placardé à l’occasion de l’élection d’Obama en novembre 2008 !
En décembre, c’est la fin des Ceausescu, feuilleton catastrophe télévisé en direct, ou presque.
une technique pour rattraper le temps
Fabienne, la secrétaire dévouée, a fait l’acquisition d’un macintosh.
On a trouvé une technique. Une fois par mois je lui dicte le mois écoulé. Ensuite je corrige. Il s’agit de sculpter l’oral comme dit Stanislas Fumet. C’est harassant pour elle et pour moi. Une seule pause pour dix heures de dictée et de frappe. Vers 20 heures, nous avons remonté un mois et demi. Emportés par le flot, nous pourrions poursuivre. Fabienne rage d’être si prêt du but, c’est-à-dire aujourd’hui. Quelle course ! Il nous reste quinze jours pour être à jour. En deux séances, nous avons rempli trois mois que je désespérais de laisser vides.
Ma force est dans mon travail et si, malgré l’épuisement nerveux qu’il provoque, mon entourage peut recevoir un peu de joie et de passion grâce à lui, je suis l’écrivain le plus comblé de ma génération.
un nouvel éditeur pour ses 31 ans
Je vais au Rocher donner ma réponse à Bertrand : c’est d’accord. Je fonce, Le Journal sera publié en septembre 90 (premier tome : 550 pages). Tant pis pour les conséquences. [...]
Quelle aventure ça va être ! Il me fallait un grand événement dans cette vie insupportable. J’espère que la publication du Journal sera la première d’une longue série. Tout doit être bouleversé de fond en comble.
d’un réveillon l’autre
Après la calamiteuse fin d’année 88, le réveillon 89 prend des allures de triomphe médiatique pour Nabe et ses nouveaux amis, dont Patrick Besson, Ardisson et Alain Bonnand (qui fait lui aussi un petit bout de chemin dans Paris 2000 avec L’Homme qui arrêta d’écrire !). C'est Jean-Paul Bertrand pour Le Rocher qui organise l’Adieu aux années 80. Dix jeunes écrivains en vue de la décennie sont invités à l’hôtel Meurice le 31 décembre. Les chambres du palace sont tirées au sort. Les écrivains s’y enferment toute la journée pour écrire leur histoire de la décennie, chacun la sienne. Les papiers seront ensuite publiés ensemble au Rocher. Nabe se voit attribuer la chambre de Dali, la plus belle ! Ambiance plus festive que studieuse !
Éros, c’est la vie !
Enfin le test de grossesse vire au rose. Un premier calcul approximatif fait remonter la conception du bébé d’Hélène et Marc-Edouard au 1er janvier 1990 dans la suite Salvador Dali au Meurice !
le Rideau est ouvert
Cela faisait des mois que le texte du pamphlet sur les médias longuement paufiné attendait... (le titre a même oscillé longtemps de Kamikaze (!) aux Versets médiatiques)
Mercredi 14 février 1990.- Rideau dans tous les kiosques ! Ouf c’est encore plus beau que ce que je croyais. [...] On peut même enlever les quatre pages de Rideau dans L’Idiot. C’est indépendant du numéro. Jean-Edern m’a promis qu’il me paierait un tirage à part. Je gratterai la date et la pagination sur le film. C’est un grand pamphlet comme ça se faisait à la fin du siècle dernier, sur papier journal, quasiment en tract. Ce n’est pas un hasard si le texte a attendu si longtemps son support idéal. Beaucoup mieux qu’un livre tiré vaseusement (je voulais à tout prix éviter la coédition avec Messidor, ce qui a poussé Besson, pour d’autres raisons, à m’aider à convaincre Edern de publier Riceau ainsi) à 3 000 exemplaires et boycotté immédiatement dans les librairies. Ici, je sors à 50 000, et je suis lu au minimum par les 15 000 fans de L’Idiot. En plus, c’est tout à fait cohérent avec le contenu du texte qui ne pouvait être un livre normal, envoyé en service de presse aux crapules journalistiques dans un système que je dénonce dedans. Et puis tant pis si ça ne passe pas : je l’aurai fait. Pour toujours, on saura ce que je pense des médias. Et quelle gueule ça a ! Sur ces grandes pages, en haut : Rideau. Personne n’a jamais eu un tel espace dans la presse. Chouchou n’est plus martyr. Dans L’Idiot j’aurai exploré tous les registres du journalisme. Ca pourrait s’arrêter demain, moi ça me suffit. De L’espérance à Rideau ! Trajet parfait. Comme j’avais écrit Rideau avant d’écrire dans L’Idiot, le ton de L’espérance est exactement le même que celui des dernières pages de Rideau. La boucle est bouclée ! En une trentaine d’articles, le mouvement perpétuel... Et le texte semble tenir ! Les réactions pleuvent.Après ça, L’Idiot peut bien s’arrêter, ce qui n’attendra pas très longtemps la velléité de Jean-Edern Hallier, malheureusement.
tableaux d’une exposition
Le 7 juin, c’est le vernissage d’une exposition des peintures et dessins de Nabe organisée pour lui par ses amis Contencin dans leur appartement/villa de fonction du Sénat donnant sur le jardin du Luxembourg. Un énorme succès, beaucoup de monde, beaucoup d’amis : Un serveur me jure qu’à un moment, il y avait 250 personnes dans la pièce !
Vendredi 8 juin 1990.- Comment sortir de la magie ? Me retransformer en crapeau, moi, prince d’un soir ?... Je ne le veux pas d’ailleurs. Je suis encore hier, et je crois bien que demain j’y serai toujours. J’aimerais faire durer ce 7 juin éternellement, enrayer ma vie comme un journal intime qu’on arrête. Buter sur cette date, m’y clouer comme sur une petite colline de bien-être...aparté - j’imagine assez bien que Nabe s’est retrouvé dans ce même état d’euphorie triomphante et durable après la Soirée des 3000 du 15 avril 2010... (lien vers les photos d'Arnaud Baumann)
en attendant Alexandre
Jeudi 26 juillet 1990.- L’insomnie me gagne. Je commence à entrer dans la parano. Passer de l’état de fils à celui de père ! Moi si fils jusqu’au plus profond de mes fibres. Je me console avec Otto Weininger qui partage les hommes en deux catégories : les autophiles (ceux qui s’aiment) et les autophobes (ceux qui se détestent) : pour lui, Mozart, pourtant si fils, est un autophile donc voué à être père. On peut donc continuer la grâce d’être fils dans son propre fils, même si Weininger dit que la reproduction est un accroissement de la culpabilité. Je pense que la paternité mozartienne peut aider à résoudre certains soucis d’une nature comme la mienne. Je serais fils de mon fils comme j’ai été père de mon père. Ça me semble logique. Coincé entre son père et son fils, on ne peut que se transformer en Saint-Esprit ! Chacun doit avoir une part (1/3) de cette paternité filiale et spirituelle dont les hommes ont besoin sur trois générations pour réunir la trinité parfaite.Et qui sait si un artiste n’a pas besoin d’avoir un fils pour s’achever, à tous les sens du terme ? Alexandre finira de tuer le Alain de Marcel pour mieux achever Marc-Edouard.
La grossesse d’Hélène est un peu compliquée et très surveillée (à Béclère par le Professeur Frydman).
L’accouchement sera finalement déclenché le 17 septembre 1990.
Pendant neuf mois, Nabe s'est formé sur le tas et très sérieusement à l’obstétrique. Ses descriptions de visites, contrôles, symptômes, sont tendres ou agacées, attentionnées, inquiètes ou drôles quand il faut. Je conseille à toutes les jeunes futures mères et à tous les futurs papas d’aujourd’hui de lire le journal intime de Nabe des mois de janvier à septembre 90. Ça vaut tous les manuels de puériculture !
Kamikaze se termine sur les feuillets que Nabe a écrit directement à la maternité, dans un carnet soigneusement choisi pour l’occasion. La Nuit d’Alexandre est un incomparable souvenir sublimé par la sensibilité littéraire du jeune père, rien à voir avec ces films vidéo dont les parents modernes sont friands, dit-on.
Et voici les dernières lignes du Journal Intime commencé le 27 juin 1983, nous sommes le 17 septembre 1990 :
Ils sont magnifiques tous les deux. 19 heures. Il est temps que je m’en aille. C’est dur. J’ai l’impression d’avoir toujours habité cet hôpital, j’ai l’impression d’être né ici !
Tout doucement, comme un tigre repu sort de sa jungle, je quitte la maternité. Impossible de savoir si dehors il fait encore soleil. En moi, il fait si beau !
Et plein de choses que j’ai laissées de côté mais qui sont aussi dans Kamikaze... (liste non exhaustive)
- la secte (sic) Le Cilice, les nouveaux amis : Eric Walbecq, L’Yvonnet, Paulin, Charnay, les rendez-vous à Saint-Sulpice, le café de La Mairie, les librairies et bibliothèques spécialisées en littérature mystique, le classeur vert !
- les folies d’Hallier, fâcheries, réconciliations
- les stratégies foireuses de Sollers
- les “victimes” de Nabe dans L’Idiot : Françoise Verny, Monseigneur Gaillot, Pierre Perret, Claude Sarraute, Serge Gainsbourg, l’Abbé Pierre...
- Fabienne, l’indéfectible secrétaire, groupie de Sollers (toujours déçue)
- les problèmes domestiques (récurrents) de plomberie chez les Nabe : souvenirs merdiques (sic) de chiottes bouchées (re-sic)
- l’amitié (?) compliquée avec Marc Dachy
- la brouille avec Albert Algoud après un incident domestique majeur : Nabe, Hélène et leurs amis sont les témoins indirects de violences faites à sa jeune maîtresse enceinte
- la dernière émission d’Apostrophes
- l’interview d’Arletty pour Paris-Match
- les visites à Meudon chez Lucette Destouches, ses amis
- les morts : Dali, Spaggiari, Karajan, Beckett
- le cinéma : Abel Gance, Duvivier, Kurosawa, Depardieu
- et toujours : les Zanines, les Hottiaux (surtout Marie-France), Pin’Up, les Ardennes, le Petit Journal St-Michel (un mardi par mois avec Michel Denis, déjà ! et François Rilhac pour plus très longtemps)
- ...
Les précédents volumes du Journal intime sont : Nabe's Dream, Tohu-Bohu, Inch'Allah
voir aussi mes billets plus anciens (depuis 2005) autour l'oeuvre et de l'actu de Marc-Edouard Nabe : dans la catégorie nabe