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[extrait, nabe] siné - philie

En 1955, Siné reçoit le Grand Prix de l’Humour noir pour son recueil “Complaintes sans Paroles”, préfacé par Marcel Aymé et post-facé par Jacques Prévert. - via http://rocbo.lautre.net/illus/sine/  Le vendredi 9 juin 1989, Marc-Edouard Nabe se rend chez Bob Siné avec un des éditeurs du Dilettante pour lui demander de dessiner la couverture de La Marseillaise.
Dans son Journal intime, il ne se contentera pas de relater la visite au vieil ami de son père qu'il admire depuis sa toute petite enfance : il en profite pour faire sur plusieurs pages, un portrait de son maître-ès caricature.

A l'automne 2008, lorsque Siné fait paraître le premier numéro de Siné Hebdo, Nabe réagit aussitôt à sa manière exaltée et mordante par un tract placardé sur les murs à Paris : Sauver Siné. Un réquisitoire surprise contre les vrais faux-amis médiatiques qui exploitent la galère du vieux libertaire accusé d'antisémitisme. Normalement c'est le père qui reproche à son fils ses mauvaises fréquentations ! D'une certaine façon, dans quelques jours Nabe sera exaucé... Siné Hebdo s'arrête après 86 numéros !

Reste le magnifique portrait que Nabe a dressé de Bob Siné dans Kamikaze  (lire les extraits dans la suite de ce billet).


Vendredi 9 juin 1989 .-- [...] C’est toujours émouvant de passer un moment avec Bob. Je le pousse à écrire ses mémoires. Il a tant de choses à raconter : il n’a qu’à écrire simplement, comme il a toujours fait...

[...] Il ne faut jamais oublier que j’ai vécu mon enfance dans les ondes anarchistes de Bob Siné. J’ai appris à lire dans ses blocs-notes divers à L’Express, à Jazz Hot, puis à Jazz Magazine. Mes premiers livres d’images, ce furent les numéros de Siné-Massacre en 1962 (j’apprends d’ailleurs seulement aujourd’hui que le titre était un clin d'œil à un Ciné-Massacre de Boris Vian !). Je connaissais par cœur le moindre virage du moindre trait du moindre dessin de Siné. C’était tout ce qui traînait à la maison : des numéros de Siné-Massacre, et puis ceux de Révolution, Bizarre, toutes les revues où il travaillait... Les personnages de Bob, avec le grand nez, les yeux blancs, la bouche, ils faisaient partie de la famille. A 5 ans, je dessinais des petits “sinés” : des curés écorchés vifs, des flics dans la merde, des juge décapités, des Oncles Sam pourfendus et autres paras déchiquetés par le Grand Soir. C’était la grande forme de Bob, il était en plein dans les procès, les ennuis, les inculpations... Siné-Massacre, le plus fantastique journal qui ait jamais existé (9 numéros, 7 procès), bien net, bien clair, imparable : quelques dessins comme ça, sans chichis, et muets comme des slapsticks pleine page, comme des ponts qui sautent au premier degré... A la gueule des enflures de l’époque ! Tout Bob est là, dans la photo du premier numéro où on le voit armé jusqu’au dents à sa table de dessin. On peut bien lui pardonner aujourd’hui de se répéter, de se redessiner lui même, il n’y en aura pas beaucoup au Jugement dernier, de “large d’esprit” qui pourront présenter un tel dossier de presse. Comment n’astiquerais-je pas, moi, l’auréole d’un type qui se grilla minutieusement pendant 25 ans ? Un ange noir provo qui paye comptant, méchant, fanatique, insupportable ?...

[...] Tout part de Siné, parce que Siné c’est le meilleur et c’est terminé. Tout le monde a oublié que Bob fut la véritable révélation du dessin des années 50-60, le dieu de la décennie cruciale, combien il a transfusé la plupart des anémiques suivants, donquichotté tous les scélérats, et dans un rythme soutenu, cravachant jusqu’à “la révolution” de mai 68... Ils sont tous là à s’inventer des souvenirs de barricades, a posteriori, des importances de héros “sur parole”... Le seul dont on peut être sûr, c’est Bob. Lui n’a pas plaisanté avec la mèche : il est responsable de la fumée des “événements”. Sur le modèle de Siné-Massacre, il a créé L’Enragé avec Pauvert. Huit, dix pages par semaine comme ça, pour pousser la révolution au cul. Hélas cette salope était frigide ou alors c’est Cohn-Bendit qui n’a pas su la faire jouir !... Si c’est Siné qui avait baisé 68, on en serait pas là aujourd’hui...

[...] Bob m’a vraiment donné les fondements de la candeur ! A boulets rouges ! En voilà un de titre ! Il toujours été clair là-dessus : Bob, c’est Bonnot, c’est Baader ! Pour le terrorisme le plus suicidaire... Enfin, jamais décalé : je ne connais pas un artiste en France qui, politiquement, soit plus irréprochable que Bob. Il a tout fait au bon moment et s’est toujours trompé : deux qualités en une seule phrase banale comme ça mais que personne ne pourrait écrire sur soi-même dans ce pays de merde.
Bourré de préjugés, très agressif, provocateur et timide à la fois, Bob fait tout pour s’introduire chez les plus damnés. Ce qu’il y a de formidable chez lui, c’est qu’il ne joue pas à l’ouvrier. Il est bourgeois. Très bourgeois de mentalité, de mœurs, de goûts. Il ne triche pas. Aucun archet misérabiliste. C’est un bourgeois d’extrême gauche, très intolérant, comme je les aime quand ils bastonnent. Son père était déjà un vrai libertaire : “Ni Dieu, ni maître” sur son torse, tout tatoué titi. Bob ne s’est jamais séparé de sa mère : elle vit là, à côté de lui, comme un moteur transplanté dans sa vie d’adulte, pleine de jurons et très complice avec son fils... Dans mon enfance, j’étais impressionné par Bob, son air froid, absorbé dans la rogne, deux yeux bleu métallisé, le visage tout rond, rosé, avec un sourire auquel on ne résiste pas, et un rire très contagieux qui aspire. Il est là, ricanant avec ses chemises à carreaux, ses bretelles pleines de faucilles et de marteaux et son foulard rouge autour du cou : tout droit sorti d’une chanson de Bruant. C’est peut-être parce qu’il hait la France à ce point que son trait a l’accent parisien : c’est vraiment de la pure rage de parigot tracée : on dirait une traînée de poudre qui a emporté dans son explosion toutes les Communes du monde ! Le Trait de Bob, c’est la plaie exacte de la blessure révolutionnaire universelle. Je le soupçonne de dessiner avec un couteau. Finalement, l’écrivain dont Siné se rapproche le plus encore, c’est Vallès. Dans son style “simple” et frontal, tout au présent visuel, le communard insurgé râleur étouffant de honte et de colère rappelle Siné. J’aurais aimé voir la trilogie de Vingtras illustrée par Bob, avec son côté dix-neuvième hachuré... Siné s’est mouillé comme peu l’ont fait pendant la “douloureuse” question algérienne, à Cuba, en Chine, partout où il pouvait se rendre néfaste à tous les pouvoirs. C’est un romantique : comme il dit, il a vraiment cru à tout sauf à Dieu !

Il est normal que personne ne prenne au sérieux un “humoriste”, surtout de la trempe de Bob... Il n’y a que des enfants fous comme moi pour en être inconditionnels. C’est un bien moche signe des temps que des seigneurs de l’anarchie comme Bob n’amusent plus personne. Je l’admire de s’obstiner à redire ce qu’il a toujours dit, et je me refuse à lui préférer les petits benêts contemporains de la fausse subversion ensocialisée à la Renaud (son “pote”), dont on peut déjà garantir, en assistant à leurs mécaniques militantismes de réactionnaires précoces, la certaine nullité totale de leurs cinquante ans futurs. A l’âge où Bob remuait à la fourche des fumiers nécessaires avec une énergie, une passion et une vérité dont ils n’entreverront jamais la lumière, ils ont peur de se salir les mains... Il leur manquera toujours quelque chose : cette foi sans foi ni loi dont Siné ne peut pas transmettre la flamme à des êtres qui ne l’ont jamais éprouvée dans leur chair de poule et qui sans aucun doute ne l’éprouveront jamais.


voir aussi mes billets plus anciens (depuis 2005) autour l'oeuvre et de l'actu de Marc-Edouard Nabe : dans la catégorie nabe

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