[masse critique] la maison rajani, roman de alon hilu
mardi 23 février 2010
Editions du Seuil, 404 pages, janvier 2010, traduit de l'hébreu par Jean-Luc Allouche
J'ai reçu en cadeau de Babelio, que je remercie, ce roman pour en faire une chronique dans le cadre de l'opération Masse CritiqueDans une courte postface, Alon Hilu - qui est aussi juriste - insiste pour que le lecteur lise ce roman comme une œuvre littéraire de pure fiction, et en aucun cas comme un document historique qu’il n’est pas. Cette ultime précaution éditoriale (qui m’étonne un peu) vaut surtout parce que ce roman original évoque de façon lyrique des événements qui conduisirent inéluctablement à la destruction de la Jaffa arabe, puis à l’édification de Tel-Aviv, jusqu’à la terrible situation politique actuelle des colonies en terre Palestinienne.
Jaffa, 1895 - le mouvement Les Amants de Sion est très actif et accélère le rachat de terres arabes au profit de colons juifs exilés, venus nombreux de Russie.La maison Rajani - le domaine agricole est prestigieux, mais mal exploité par son propriétaire issu d'une illustre famille arabe ; la propriété est négligée et menacée de déshérence.
Isaac (Jacques) Luminsky - le jeune ingénieur agronome tout juste arrivé d’Europe Centrale avec sa jeune épouse, est plein d’illusions qu’il déguise inconsciemment en espoirs ; il est hâbleur, peu psychologue, et misogyne ; se croyant malheureux en ménage, il jette son dévolu sur la femme et l'enfant du propriétaire de la maison Rajani, pensant faire ainsi d’une pierre deux coups en remettant sur pied le domaine pour le compte des colons juifs de Jaffa ; il sera peu à peu pris au piège de ses propres convoitises et de la folie grandissante des derniers habitants du domaine.
Salah Rajani - l’héritier du domaine est un adolescent trop sensible et déséquilibré, un mal-aimé solitaire en quête d’affection, et qui se réfugie dans l’écriture pour évacuer ses tourments ; l’évasion dans la fiction poétique ne lui suffit bientôt plus, les hallucinations prennent la place des légendes et des personnages inventés, il retourne sa violence contre lui-même jusqu’à l’automutilation ; ses superstitions deviendront visions et prophéties...“Je lui dis, en manière de plaisanterie :
Que nous a révélé d’autre Salah le prophète ?
Elle me répondit sur un ton angoissé :
Il a vu un homme bizarre se tenant sur la tête. Et une femme avec des lunettes à la monture épaisse, des bras puissants et une voix de basse comme celle d’un homme. Et encore un homme avec un bandeau noir sur un œil. Tous ces gens sont des ennemis inexpiables de notre peuple, des fauteurs de guerre qui pataugent dans notre sang.”
Les événements vont s’enchaîner tragiquement à partir de la mort du père de Salah et de la prise de pouvoir d’Isaac sur le domaine. A-t-il profité en manipulateur de la confiance et de l’affection que le jeune Salah lui portait au début de leur histoire commune ? Ou bien est-ce seulement l’esprit troublé de Salah qui lui fait imaginer le meurtre du père, la trahison de l’ami, et la folie de la mère ?
Je me suis ennuyée à la lecture de ce roman jusqu’à sa moitié environ. L’alternance de séquences (courtes) de pages des journaux intimes des deux personnages principaux est trop régulière. La situation dramatique s’installe progressivement, mais ce n’est que lorsqu’elle atteint un paroxysme, qu’elle devient poignante et folle, que je me suis laissée embarquer par l’histoire.
J’ai trouvé très réussies (bien que systématiques) les ruptures de concordance entre les deux récits parallèles de Luminsky et de Salah. Chacun rapporte de son côté et à sa manière des faits identiques et souvent partagés, et pourtant leurs versions sont extrêmement divergentes. Le lecteur reste libre d’interpréter ces différences en les mettant sur le compte du fanatisme héroïque de Salah, de la duplicité naïve d’Isaac, ou d’un mélange des deux à la fois.
Difficile de parler de la qualité de l’écriture puisqu’il s’agit du parti pris plutôt réussi mais artificiel, de restituer le style épistolaire ou diariste au XIXème siècle. Les phrases de Salah sont interminables, imbriquées pour signifier son lyrisme pathologique. Celles d’Isaac, plus courtes, signent son pragmatisme de gestionnaire.
Je n’ai pas aimé ni compris l’idée qu’a eue l’auteur de venir plaquer à plusieurs reprises sur cette histoire orientale, les thèmes shakespeariens de la folie engendrée par la culpabilité. C’est superflu et peu en harmonie avec les sortilèges des djinns, bien suffisants et plus couleur locale, qui servent à évoquer poétiquement les troubles psychiques du jeune arabe, et les meurtres réels ou imaginaires à la maison Rajani.
Il y a Hamlet-Salah, les fossoyeurs et le crâne. Une Ophélie aux boucles brunes. Mais aussi Lady Macbeth-Maman qui ne cesse de se laver les mains, et les sorcières. Sans doute d’autres aussi que je n’ai pas reconnus.
Je ne suis pas une lectrice politisée. Il me semble qu’en faisant scrupuleusement attention à maintenir un équilibre constant entre les descriptions de comportements racistes et antisémites prêtés tour à tour à ses héros et personnages secondaires, l’auteur à mis une bride consciente à son inspiration orientaliste. Je me demande si ce n’est pas la cause de l’ennui que j’ai parfois ressenti en lisant cette (finalement) belle histoire.
“Notre espoir n’est pas encore tari...”
A la fin du roman, Luminsky le sioniste reçoit ce ver en héritage de Salah le palestinien, et le transmet à son tour à un poète juif de ses amis, sorte de hippie avant l’heure, pour qu’il figure dans son œuvre, qu’il soit répandu et répété partout à travers le monde.