le weekend où salinger est vraiment mort
[lu] entrée des fantômes, roman de jean-jacques schuhl

[journal de lecture] l'homme qui arrêta d'écrire, roman de marc-edouard nabe

Ephemeride

Ce billet va prendre la forme d'un journal de lecture.
Jour après jour je vais venir commenter ici ma progression dans les 685 pages du vingt-huitième livre de Nabe : L'Homme qui arrêta d'écrire.

Au lieu de créer une note chaque jour, je vais les regrouper dans un billet unique, celui-ci. Je pense commencer vraiment la lecture de L'Homme ce weekend.

... plusieurs jours plus tard...

vendredi 19 février - n.d.l.l. - Par message privé j’ai reçu des commentaires sur ce billet qui m'ont convaincue d'y revenir pour le compléter.
La fin me dit-on est bâclée.

C’est pas faux.

Pour une perfectionniste pathologique, le reproche est violent, alors j’y retourne... ou au moins j’essaie car la journée du dimanche de l’ex-écrivain reste pour moi, à la différence du reste du roman, encore hermétique et difficile voire impossible à déchiffrer.
Nabe nous emmène ce jour-là sur d’autres planètes, dans les étoiles, chez les anges, au septième ciel, tout ça sans décoller du 8ème arrondissement, et pourtant à la toute fin du roman, l’ex-écrivain atterrit ou alunit hors les murs de Paris. Je ne sais où.

Est-ce un rêve, un cauchemar, une allégorie, un évanouissement, le paradis ou l’enfer, un conte mythologique ?
Je ne sais pas encore.
Ce que je sais, c’est le plaisir (je devrais mettre au pluriel) que procure la lecture de
L’Homme qui arrêta d’écrire. Pas un plaisir simple, non. Mais c’est le moindre des hommages à rendre à l’auteur que de le prendre ce plaisir, car il n’a pu accoucher d’un tel roman sans souffrances.

“Heureux qui comme Joyce, écrit Ulysse”, In: Petits Riens sur Presque Tout, 1992, (c) Marc-Edouard Nabe


--- début de mon journal de lecture de l'homme qui arrêta d'écrire :

mercredi 3 février, 9:35 -- J'ouvre la porte au livreur très attendu (partie en long weekend, j'avais raté un premier passage) qui m'apporte LE paquet. Je bagarre avec les couches d'adhésifs pour dégager intacte, l'oeuvre noire : 5,5 cm d'épaisseur, brochage cousu, rien en quatrième de couverture qu'un numéro rose fluo :

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Juste un coup d'oeil rapide : pas d'exergue, pas d'incipit, pas de table des matières, un seul chapitre !
Surtout ne pas lire les dernières lignes. C'est raté, même sans le vouloir, j'ai choppé un prénom : Emma. Qui est Emma ?

Pour aujourd'hui, c'est tout. Je veux déblayer le terrain de mes lectures et chroniques en cours, faire place nette.
Demain je publierai mes notes de lecture sur Entrée des fantômes de Jean-Jacques Schuhl.
Les deux prochains jours je vais être déconnectée... Clément-Fils prépare son installation à Bourg-en-Bresse où il a trouvé son premier job. Avec son papa nous allons là-bas pour l'aider à trouver un logement, et surtout lui servir de caution pour le loyer !

Je pense commencer vraiment la lecture de L'Homme ce weekend. A samedi ou dimanche, sur ce billet.

à écouter : Frédéric Taddéi et Marc-Edouard Nabe sur Europe 1, samedi 30 janvier

vendredi 5 février, le soir -- au retour d'un court séjour en province, je ne rate pas cette fois (heureusement) le passage de Marc-Edouard Nabe dans l'émission de Franz-Olivier Giesbert sur France 2. Ci-dessous la séquence Face à Face, Marc-Edouard Nabe face à Alain Zannini présente L'Homme qui arrêta d'écrire.
Vous trouverez aussi la vidéo de la séquence suivante, le débat sur la liberté de parole.
Dans le générique de fin de l'émission Nabe exprime son bonheur d'avoir tout dit...

...j'ai dit tout ce que j'avais à dire, comme toujours - je suis la preuve qu'on peut tout dire !

samedi 6 février, matinée -- J'ai lu deux jours (pp. 1-124) : les deux premiers jours de l'homme qui arrêta d'écrire.

En écoutant Nabe dire hier à Giesbert que L'Homme couvrait la divagation de son personnage dans Paris pendant une semaine, et comme il n'y a - je l'ai déjà dit - aucune coupure en chapitres, j'ai décidé de faire des pauses dans ce compte rendu, si je pouvais, à la fin d'une journée de l'ex-écrivain. Pour le moment ça marche.

lundi -- L'écrivain a reçu la lettre de rupture de son contrat de travail avec son éditeur.

Au bout de vingt-cinq années, à cinquante-et-un ans, on ne veut plus qu'il écrive, il n'écrira plus. Comme n'importe quel chômeur il se lance docilement mais sans espoir, dans le parcours du perdant. Il ira même jusqu'à subir un bilan de compétences ! C'est du Nabe... malgré le tragique très réaliste de la situation romanesque,  la narration des minuscules aventures de l'homme-qui, de ses rencontres, devient très vite jubilatoire, voire farce. Comme quand l'écrivain va acheter son shampooing et qu'il prend bien soin de ne pas choisir un produit des laboratoires Phabre (Fabre, labo pharmaceutique qui avait racheté les éditions du Rocher et refusé de continuer la collaboration avec Marc-Edouard Nabe).

Boulevard Haussmann, il se refait une garde-robe plus en accord croit-il avec son nouveau statut. C'est là qu'il rencontre celui dont on se doute qu'il va devenir son guide et son mentor pour la suite de l'aventure. Trentenaire, geek mais pas no life, Jean-Phi est un blogueur, mais surtout un développeur de jeux vidéo qui semble vivre très bien de ses talents et passions pour les nouvelles technologies.

Premier choc : l'homme qui ne voulait plus entendre parler de littérature découvre que son nouvel ami est en possession, pour le scanner, du manuscrit du Voyage au bout de la nuit, qui a pourtant fait l'objet de recherches restées infructueuses. Intrigué par le mode de vie et les activités de Jean-Phi, l'ex-écrivain accepte de le suivre au hasard de ses rencontres sur Meetic. Cela les conduira à la fête foraine des Tuileries où les "choses fausses existent en vrai", et où le forain qui tourne une barbe à papa rose "caresse un nuage tiré d'un crépuscule sanglant ".

Dans un hotel de l'autre côté de la rue de Rivoli, ils sont invités à suivre une ravissante dyslexique qui rejoint une "merforpance de xesse". Ce qu'ils ignoraient tous deux, c'est que ce genre de soirée était réservée aux asexuels et asexuelles. Ne l'étant pas eux-mêmes, ils sont très vite refoulés !

Au bilan de cette première journée sans écrire, l'homme-qui a découvert un monde et mode de vie qui lui étaient totalement inconnus jusqu'ici, ceux des non-écrivains. Il est un peu comme Le Huron de Voltaire ou Hibernatus, découvrant des moeurs nouvelles dans un paysage connu, le Paris des années 2000.

mardi -- Au lever, l'ex-écrivain va s'acharner à se débarrasser de sa bibliothèque devenue inutile. A la cave, les livres.

Après un massage ayurvédique, sa première expérience du genre, il rejoint Jean-Phi chez Colette (le magasin). Nabe se lâche sur "l'esthétique antiartistique" et "la laideur esthétisée" de l'endroit et des produits présentés. Le déjeuner au Water Bar ne réconforte guère l'ex-écrivain, pas plus que l'enthousiasme de Jean-Phi pour un nouveau projet de jeu vidéo, une adaptation de La Divine Comédie. De plus en plus le réel parisien lui parait devenu un enfer.
"Ce n'est pas que rien n'est plus comme avant, c'est que rien n'est comme tout de suite.
Même les gamins de quinze ans ont l'impression que la vie passe vite."

Toujours à la suite de Jean-Phi venu restituer le manuscrit de Céline, il se retrouve chez Sotheby's, rue Saint-Honoré. Il ne peut résister à la tentation d'assister à une vente d'objets littéraires de plusieurs de ses écrivains préférés post-mortem, et de vérifier une fois encore l'injustice faite à Baudelaire ou à Rimbaud :
"Le marteau frappe comme un coup de feu qui abattrait à nouveau le poète. Putain, 510 000 euros un des 1 300 exemplaires que Beaudelaire a tirés de son vivant à 3 francs pièce..."

Pour s'échapper du piège littéraire qui le menace jusque dans la rue, l'ex-écrivain se rend au rayon DVD de la Fnac qui le surprend par son exhaustivité. A quoi auront servi vingt années de repiquage de vieux films rares passés à la télé, et autant de cassettes soigneusement conservées chez lui ? Un vendeur lui conseille pour se détendre, l'achat d'une saison de 24 heures Chrono. Encore une découverte... L'ex-écrivain n'est pas enthousiasmé par la réalisation mais l'ex-diariste est accroché par le concept du temps réel.  Fatigue ? En surimpression, il voit Pierre Doris au milieu des explosions, tel qu'il était dans La Maison des Bois, le feuilleton télévisé de Maurice Pialat... La cinéphilie, c'est comme la littérature, difficile de s'en défaire.

Début de soirée décevant avec la fête minable organisée pour la fermeture de la Cinémathèque Chaillot. Une nouvelle descente sous terre, et des allures très fin de partie pour une réception dont les vieux et vrais cinéphiles ont été sciemment écartés. Nabe s'en donne à coeur joie avec des portraits acides de "sous-branchés indifférents à tout " venus "danser sur une musique pseudo-néo-pop...  à l'enterrement du cinéma tout entier".

Ne voulant pas rester sur un bad trip, l'homme-qui appelle Jean-Phi à la rescousse. Celui-ci est évidemment tout content de lui montrer encore quelque chose qu'il n'a jamais vu : un centre de jeux vidéo, ouvert non-stop, boulevard Sébastopol, en sous-sol. L'homme-qui découvre avec étonnement une nouvelle génération d'adolescents et leur addiction bizarre. Nabe invente un magnifique personnage de pédophile rendu à la liberté équipé d'un bracelet électronique. C'est cet homme réprouvé qui finira par sauver les deux cents gamins prisonniers du sous-sol en proie à un incendie. Un petit conte optimiste au milieu d'histoires plus sombres, sinon désobligeantes.

notes de la lectrice - Parlant de l'ambiance délétère du Paris de la première décennie du millénaire telle que Nabe la décrit dans son roman, Giesbert répétait hier à plusieurs reprises : c'est horrible, c'est épouvantable... ce que l'auteur confirmait avec force et conviction : tout est faux dans le roman, mais il n'a rien inventé !
D'accord avec Giesbert , c'est horrible, mais qu'est-ce qu'on rit ! Quel plaisir !

Au passage j'ai appris (wikipedia) le tragique destin d'Armand Robin, écrivain breton, traducteur d'Essenine et homme de radio, dont j'ignorais jusqu'à l'existence.
Ça n'a pas de rapport direct avec ma lecture mais cela en a un très fort avec l'intervention hier de Nabe dans le débat télévisé sur France 2 qui suivait le face à face avec Giesbert (Vous aurez le dernier mot) : ce matin sur inter le 7-9 de Stéphane Paoli était entièrement consacré au dossier spécial de Marianne - Oui ou non, Israël a-t-il mal tourné ?

dimanche 7 février, matinée pluvieuse -- pp. 124-246

n.d.l.l. - Ça y est déjà, mon système de lecture/compte rendu est explosé, nabisé, il prend l'eau : il a suffit d’une nuit blanche de l’homme-qui, celle du mercredi au jeudi...
J’étais bien naïve ou prétentieuse d’imaginer que l’ex-écrivain allait se contenter de journées de douze heures et d’une alternance bien réglée entre périodes de veille et de repos ! C’est pas moi l’artiste ! Pas de problème, je vais m’adapter à ce décalage horaire littéraire, me laisser bousculer, avec plaisir !

mercredi -- Maintenant l’homme-qui s’emmerde quand il est tout seul chez lui. Il cherche à se désennuyer en regardant la Star Academy à la télé en attendant l’heure de son prochain rendez-vous mystère avec Jean-Phi, au pont de l’Alma pour rencontrer les belles des belles...

Au square, en chemin, pour nourrir les pigeons avec la gentille vieille folle du quartier - un pugilat homérique entre bambins que les mamans papoteuses ne remarquent même pas - à l’Alma, évocation de Lady Di et de Katoucha, stars disparues et oubliées - en bateau-mouche jusqu’au Louvre - descente dans la galerie du Carrousel - “Tout est souterrain maintenant à Paris”

Au Carrousel du Louvre - défilé Dior en matinée - thème : les grands peintres coloristes - les stars invitées, en grande toilette, désexualisées - la cabine de mannequins - les journalistes - rencontre avec Zoé, groupie d’écrivains, et Pat, assistant du grand couturier - l’homme-qui accepte l’invitation à suivre ses nouveaux amis au vernissage de la biennale d’art moderne

Au Palais de Tokyo - ambiance artistique : noirceur, tristesse, ennui, sérieux, dégoût, régression - une critique d’art et romancière assommée par un pot de fleurs en acrylique géant - un discours pitoyable du commissaire de l’exposition en hommage à Marcel Duchamp - un attentat perpétré contre La Fontaine (R. Mutt, Urinoir, Marcel Duchamp) - le destructeur d’oeuvre artistique prend Jean-Phi et l’homme-qui en otages pour protéger sa fuite - libération des otages

Le petit groupe des nouveaux amis de l’homme-qui est invité à la fête post vernissage au Baron, avenue Marceau. L’ex-écrivain retrouve avec émotion le cadre d’un cercle privé qu’il a longtemps fréquenté dans les années 90 pour y écrire (sic). Mais l’ambiance a changé, plus de Belles Putes à demi dénudées. Ce n’est plus Le Paradis (ndlr - cf. Alain Zannini, roman).

Au Baron - les invités, des fils et filles de, un fan de l’ex-écrivain - un karaoké - défonce et baston dans les toilettes - une conversation sérieuse sur Marcel Duchamp avec le petit-neveu tatoué de Gustave Doré - une rencontre avec une miss météo blonde qui oublie son sac-à-main et file à l’anglaise avec le descendant Doré

Dans le sac-à-main de Miss Météo, l’homme-qui trouve un badge d’accès à la présentation presse de la nouvelle grille Canal+, qui doit avoir lieu le matin même au théâtre du Rond-Point. Il va s’y rendre directement pour rapporter la pochette à sa propriétaire.

jeudi (1/2) -- Au petit matin, sur l’avenue Marceau

L’homme-qui invite les derniers clients du Baron à prendre le petit déjeuner avec lui place de l’Alma. Ce sont quatre lycéens des deux sexes, sympathiques, qui étonnent l’ex-écrivain par leur confiance en eux-mêmes et en leur débrouillardise créative. Eux, à la différence de leurs aînés trentenaires aux tristes figures que l’homme-qui a côtoyé depuis lundi, ne semblent pas s’effrayer de ce qui les attend le lendemain.

Au théâtre du Rond-Point - l’esprit Canal - “la prétention d’une chaîne de télévision à l’intelligence”  - galerie de portraits crachés des vedettes canal historiques - le coming out de sa paternité par Jean-Phi - “La garde alternée, voilà ce qui ne peut pas passer par Internet.”

On est en début d’après-midi du quatrième jour de sevrage d’écriture de l’ex-écrivain. Il rentre chez lui, regarde un peu la télé (toujours la Star’Ac’) et s’écroule de fatigue. Son radio-réveil branché sur France Inter lui rappelle son rendez-vous Gare de Lyon pour aller chercher la fillette de Jean-Phi.

lundi 8 février, le matin -- pp. 246-335

jeudi (2/2) -- En fin d’après-midi, à la Gare de Lyon

L’ex-écrivain prend le bus 24 pour aller prendre livraison de la rejetonne de Jean-Phi - une algarade avec un contrôleur qui n’a lu ni Kafka ni Nabe - une arrivée in extremis au train - un imprévu : la demoiselle est un mignon petit bébé équipé d’une poussette et de tous les nombreux accessoires...

Au Train Bleu, restaurant - en cherchant les toilettes pour changer bébé, l’homme-qui tombe dans l’enfer d’un cocktail littéraire - encombré de la poussette et du bébé, il ne peut échapper ni à ses anciens collègues écrivains, ni aux journalistes et aux éditeurs rassemblés pour attribuer le prix de la plus belle langue française (sic) - le trophée - la bagarre autour d’un supposé entartreur belge

n.d.l.l. - l’épisode de la confrontation de l’ex-écrivain avec les gendelettres au Train Bleu est un morceau de bravoure très attendu au tiers du roman. La scène ne se passe pas dans un sous-sol, mais c’est bien un nouvel enfer parisien que l’auteur dépeint. Vous vous doutez bien que chacun des “modèles” du tableau en prend pour son grade, et certains (beaucoup) plus que d’autres... Pour préserver le plaisir de la découverte aux nouveaux lecteurs, j’ai choisi de ne pas dévoiler les noms des “statufiés” dont les patronymes “déguisés” sont très faciles à reconnaître ! Bien évidemment il y a déjà eu des fuites dans les articles, et les émissions télé qui ont parlé de L’Homme (Sollers, Moix, Beigbeder, etc.).

Et c'est reparti... pour retrouver Jean-Phi devant chez lui et lui passer le bébé. Mais non. Le jeune nouveau père a un plan surprise. Bébé est confié prestement à une nounou, et voilà le duo en route pour de nouvelles aventures. En route si on veut puisque c’est en petit train promotionnel qu’ils traversent Paris en direction de Montmartre, où Zoé a préparé une surprise à ses nouveaux amis.

A l'Hôtel Amour, sur la Butte - un restaurant branché - Zoé présente ses belles et jeunes amies Liza, Elodie et sa soeur Kahina - conversation au dîner pour faire connaissance - des histoires de nanas - on parle des séries américaines - où l’on apprend que Nina Meyers est une salope - l’homme-qui découvre le plaisir de vivre pour ne pas écrire - “je n’étais jamais détendu quand j’écrivais, je pensais déjà au moment triste où je serais seul dans la nuit à écrire sur le passé, même récent, autant dire sur la mort.” - arrivée des trentenaires Guido et Greg, très représentatifs la génération des “revenus de rien” - l’homme-qui prend le lead de la conversation et propose une analyse du malaise des nouveaux jeunes envoyés exprès au “casse-pipe de la culture”, incapables de distinguer le beau à cause de la surabondance et du bruit de la médiocrité - on parle de Second Life - l’homme-qui ne connaissait pas, il y voit la victoire de la virtualité sur, à la fois le rêve et la réalité - “j’ai bien peur que ce jeu permanent avec le feu virtuel marque la disparition de toute fiction réelle au profit d’une virtualité antipoétique...” - Jean-Phi rentre chez lui en oubliant son portable - Zoé propose aux filles et à l’homme-qui de partager une chambre de L’Hôtel Amour pour y finir une nuit déjà bien entamée - coup de théâtre : au douzième coup de minuit et au grand dam de l’ex-écrivain, Zoé part retrouver son prince écrivant - l’homme-qui reste seul dans la chambre avec deux jeunes beautés - il finit par s’endormir chastement...

mardi 9 février, jusqu’à midi -- pp. 335-438

vendredi (1/2) -- l’homme-qui quitte seul l’Hôtel Amour et redescend à pied vers les grands boulevards...

En chemin, il passe rue Choron, entre pour la messe à Notre-Dame-de-Lorette, fait des emplettes compulsives dans un magasin de farces et attrapes, rejoint le passage Jouffroy, hanté par le souvenir d’Isidore Ducasse, comte Lautréamont.

Il déjeune dans une brasserie avec un autre ex-écrivain, Alain B., retrouvé par hasard, né aussi en 1958, et publié dans les années 80 par les mêmes éditeurs. Lui, est en arrêt d’écriture depuis quinze ans, et semble s’épanouir dans cette retraite. Ils échangent joyeusement leurs vieux souvenirs communs de jeunes écrivains ambitieux, orgueilleux et insolents, dont le grand crime fut de “prendre de haut les gens de lettres”. D’humeur gamine, l’homme-qui fait le coup de l’oeuf-plat renvoyé à la figure du garçon (première farce). Au téléphone, Alain B. à qui l’ex-écrivain à présenté Jean-Phi, se lance dans un réquisitoire énervé contre la blogosphère : “L’écriture, sur Internet, c’est du vent”. C’en est assez pour l’homme-qui. Il ne supporte pas que l’on dénigre son nouvel ami. Il prend parti pour la nouveauté et refuse l’invitation de l’ancien ami à le suivre dans un club échangiste : “Il y a plus de vie dans la jeunesse qui a tort que dans la vieillesse qui a raison.”

Des grands boulevards jusqu’au Palais-Royal, l’homme-qui ne peut échapper à ses rêveries littéraires : Molière, Lautréamont (toujours), Rimbaud (encore), Colette, Cocteau. Dans une toute petite boutique de couture sous la galerie royale, il retrouve Liza qui lui remonte les bretelles, non je blague, qui lui raccourcit les manches de son caban couleur framboise. Liza lui rappelle le rendez-vous le soir au théâtre pour applaudir Elodie dans le rôle d’Ophélie.

Finalement repris par ses vieux démons, l’homme-qui ne peut pas s’empêcher d’entrer dans la librairie Delamain, place Colette. L’ex-écrivain jubile en déchiffrant les ineffables étiquettes d’appréciation des libraires-conseils. Il parcourt les rayons et s’offre le plaisir d’une revue de détail désobligeante de l’état de la production romanesque actuelle. Une libraire-en-chef repère son manège, le reconnaît et lui assène une volée de flèches auquel il répond vertement, pied-à-pied, main-à-main d’écrivain : sur sa parano, sa prolixité, son impatience, et last-bust-not-least, son irrespect pour le lecteur.
“Il y aurait toute une rééducation à faire du lecteur. Il ne faut pas que le lecteur se prenne pour le lecteur, mais qu’il se dise : “Je suis un autre lecteur”. Moi j’écris pour le second lecteur, pour celui qui ne se prend pas pour le lecteur. Je m’adresse au lecteur uniquement s’il n’est pas bête pour se prendre pour le lecteur, sinon je lui chie dessus. Le bon lecteur c’est celui qui ne s’identifie pas au lecteur. Ne pas se prendre pour la personne à laquelle je m’adresse puisque je la méprise. Il faut que le lecteur s’identifie à moi et pas au lecteur, sinon il est foutu.".

n.d.l.l. - En lisant ça, je prends une douche glacée : heureusement je n’ai pas appelé ce que je fais ici : journal d’une lectrice !
J’ai encore du chemin à faire avant de comprendre vraiment ce que Nabe attend de son lectorat... c’est quoi un lecteur au second degré ?
Juste pour Yann, mon troll, voici un tout petit exemple de ce qui me fait rire en lisant
L’Homme qui arrêta d’écrire :
"- Vous êtes amer !

- Pas plus que Gorki...


- Pardon ?

- Rien.
"

Tout à coup, grand ramdam dans la librairie, ce qui met fin à l’entretien : on a trouvé un étron canin sur une pile de livres. C’est la deuxième farce du jour (voir plus haut) ! En sortant, sur le trottoir : encore un vieux copain, dessinateur celui-là et néerlandais (son nom commence par W). Il invite l’homme-qui à l’accompagner au bouclage du numéro un de l’unique journal papier destiné à remplacer tous les autres quotidiens et hebdos acculés au dépôt de bilan depuis l’avènement du Web.

n.d.l.l. - Un peu comme le prix littéraire au Train Bleu, cette formidable conférence de rédaction est scénarisée tout exprès pour faire défiler tous les grands journalistes has-been : “ces grognards perdus du www.waterloo.com de la presse caviar en sont à supplier les lecteurs partis surfer sur des vagues plus nettes de les acheter à nouveau.”.

A un moment, alors que le brainstorming pour trouver un titre au journal tourne en eau de boudin, Jean-Phi surgit comme Jack-In-The-Box et lance une proposition si juste et percutante qu’elle est adoptée aussi sec. L’homme-qui n’en revient pas... 

n.d.l.l. - Teasing, teasing, le lecteur-cet-andouille ne saura pas quel est le fameux titre inventé par Jean-Phi. Dans Le Bonheur, Nabe utilisait un peu le même truc pour que le lecteur ne sache pas ce que le fils du clown disait à l’oreille de son père et qui le faisait éclater de rire pour la première fois de leur vie commune.

Profitant du déchaînement d’une querelle générale entre les journalistes, l’homme-qui lâche une boule puante (troisième farce du jour). Les deux compères s’éclipsent, ils enfourchent la moto de Jean-Phi - encore une première pour l’homme qui, la moto - et les voilà en route pour le théâtre de la Colline où ils vont retrouver Zoé, Kahina et les autres.

n.d.l.l. - Alors là, je biche... j’ai trouvé UNE TYPO !!! page 415, onzième ligne, il manque un espace entre à et qui : àqui.
J'en profite pour dire encore mon admiration à l’équipe de marcedouardnabe.com pour la présentation, la couverture, la typographie, la mise en page, et tout... de L’Homme qui ! J’imagine que ça a dû être un boulot dingue, un enfer, pour contrôler la qualité de toute la chaîne de publication, bravo Marc-Edouard et al. !


Au théâtre de La Colline, la représentation du Hamlet d’après Shakespeare de George L. laisse l’homme-qui perplexe, dubitatif et très déçu. Ce n’est pas qu’il n’aime pas le spectacle vivant, mais il se demande : “ça n’existe plus, une pièce directe, franche, sur un grand sujet, avec un texte bien joué dans une mise en scène simple et recherchée, qui dise quelque chose de profond et de drôle sur le monde tout en mettant en valeur le sens du théâtre ?”.

n.d.l.l. - C’est rigolo, dans deux jours je vais à l’Odéon voir Isabelle Hupert (1 seul p, c’est exprès) jouer Un tramway, d’après T. Williams - ça me donne une idée : je vais photocopier les pages 429-430 et les distribuer aux amis avec lesquels je vais au spectacle et qui l’on choisit.
 Et une autre idée encore : photocopier la page sur le calvaire de l’apprentie comédienne, pour ma nièce Fanny étudiante en arts dramatiques à Lille.

C’est un prolongement théâtral paroxystique qui va se jouer sur la scène où les acteurs et leurs amis se retrouvent à la fin du spectacle pour fêter la première. Premier coup de théâtre : l’homme-qui reconnaît la jolie dyslexique asexuelle, et aussitôt après, son interlocutrice amie des chats rencontrée deux jours plus tôt au pince-fesses de Chaillot : "la vie et ses ricochets permanents". Estelle et Clémentine. Toutes deux forment avec Elodie, la triplette d’Ophélies sortie de l’imagination tordue du metteur en scène. Laquelle Elodie voulant se venger de la trahison de son petit ami, plante un couteau en plein coeur de sa rivale. C’était le couteau acheté 4 euros 50 par l’ex-écrivain le matin (troisième farce du jour).

Après trop d’émotions, les filles ne veulent qu’une chose, c’est rentrer chez elles. Elles plantent là Jean-Phi et l’ex-écrivain.

n.d.l.l. - Moi aussi je les laisse tomber et filer vers une nouvelle déconne entre mecs : pour moi on est mardi, il est 12:00, c’est l’heure de mon cours de gym Feldenkrais. Je file.

mercredi 10 février -- interruption momentanée de service... à demain !

jeudi 11 février -- pp. 438-555

vendredi (2/2) -- les filles parties se coucher, Jean-Phi enlève l’ômki (j'en ai marre de taper l'homme-qui) sur sa moto, destination surprise...

En chemin, rue de Rivoli, on croise la balade à rollers, normal on est vendredi. La destination choisie par le blogueur replonge une nouvelle fois l’ômki dans le souvenir de son passé. Le club La 4ème dimension, rue d’Artois, avant c’était le Blue Note, club de jazz historique. L’ômki se souvient des jazzmen qu’il y a rencontrés et aussi que le cinéaste Bertrand T. y a tourné un très mauvais film qui a eu beaucoup de succès. Le décor n’a pas changé, le spectacle, si. C’est maintenant une boîte de strip-tease à l’ancienne. L’ômki y retrouve l’ambiance de son Paradis (devenu le Baron) et admire la générosité artistique des danseuses nues dignes de ses chères Belles Putes d’avant. La conversation porte sur l’amour, les femmes, l’amour des femmes, le cul de la vielle Diane, la nuque de Vanessa. Il évoque Colette, “la première strip-teaseuse officielle en 1920... Elle disait que faire du strip-tease, c’était moins se déshabiller que d’écire. Dieu qu’elle avait raison. Une des deux activités est beaucoup plus indécente que l’autre”. Au bout de la nuit, l’ômki rentre chez lui, mais le chez lui qu’il préfère depuis quelques jours ce sont tous ces lieux où l’entraînent ses nouveaux amis.

samedi (1/2) -- le matin en attendant Zoé, l’ômki regarde la Star’Ac’ et ça lui fait penser à La Mouette de Tchékov. Il décide de se débarrasser de tous les outils de l’écrivain, de faire table rase, comme Simenon lorsqu’il abandonna se roman, avant d’écrire ses Mémoires. Il reprend pied précautioneusement dans la vie quotidienne : courses de proximité, observation détaillée du travail du boucher, confection de son premier steak-riz depuis qu’il a arrêté d’écrire.

Zoé arrive pour l’embarquer dans sa petite auto. Elle écoute des livres disques, des grands classiques. L’ômki regimbe un peu, pas trop. En route pour la nouvelle destination surprise choisie par Zoé, ils sont arrêtés place de la Bourse par une manifestation en faveur de l’habitat alternatif (la yourte), juste devant le temple du libéralisme consumériste.

L’ômki va à la rencontre d’un petit groupe de manifestants qui l’adoptent aussi sec, et s’efforcent de l’endoctriner, en vain. Vie au naturel, renoncement au progrès, naturalisme. Le plus acharné de tous est un certain Salim, qui cherche d’abord à lui inculquer des rudiments de finance internationale, et à le convaincre que l’on va tout droit vers une monnaie mondiale : l’américo. “Tout part en cacahuète”. Le discours de Salim aussi, qui dérape sur la théorie du complot, les satanistes, les Illuminatis, le Roi du Monde, la Franc-Maçonnerie, la contestation en bloc de la réalité du II-septembre : “cet effondrement ne tient pas debout”. Au détour de la conversation, l’ômki s’aperçoit que Salim est un interlocuteur du blogueur Virgile (le pseudo de Jean-Phi sur internet). Salim est bouleversé d’apprendre que l’ômki est intime avec Virgile dont il place le blog au top du top ! L’ômki profite de l’euphorie naïve et brouillone des “biobios” pour placer son savon qui tâche (quatrième farce de la journée).

Pendant ce temps-là, la manifestation dégénère, les anti-écolos du quartier et la police interviennent énergiquement. Une yourtienne est victime d’un Taser policier. Des noms d’oiseaux sont échangés. Où l’on voit l’importance de l’ordre des lettres et la fragilité du mot écrit ou dit : “j’ai jamais pu piffer les yourtes” dit le CRS tireur dans sa barbe. L’ômki s’extirpe du chaos sans dommage et retrouve la voiture de Zoé.

La surprise de Zoé. C’est une garçonnière d’écrivain que la belle a imaginé installer pour l’ômki. Elle n’a pas lésiné : une chambre de bonne dans la maison de Céline, rue Girardon, en face de la maison de Gen Paul. L’ômki est ému, mais vraiment pas tenté. Zoé a l’intelligence de ne pas montrer sa déception ni d’insister.

Pour réchauffer l’ambiance, Zoé emmène l’ômki non loin de là, au Trianon de Pigalle, pour un festival du film Bollywoodien. C’est réussi : le kitch sérieux du scénario, le rose, l’orange, les paillettes, le buffet hindou. L’ex-écrivain très étonné découvre un nouvel univers imaginaire. “Sacrifice, grandeur d’âme, fidélité, générosité, pureté d’intention, fair-play total, ça fait tout drôle quand on vit dans ce monde glauque, moche, brutal, mesquin et ignoble qu’est devenu l’Occident en général et son cinéma en particulier...”.

Jean-Phi les rejoint pour dîner au Mathi’s, rue de Ponthieu. L’ômki raconte sa rencontre avec Salim, Jean-Phi voit effectivement qui c’est, il le connait comme Le Libre Penseur. Au restaurant du Mathi’s on croise des gloires encore vivantes de la couture, du cinéma, de la chanson, du théâtre. Léo S. “le dernier éditeur fun à Paris” fait son entrée alors qu’à table, les trois amis discutent longuement et démontent le délire des complotistes du 11 septembre. Pour l’ômki il n’y a clairement pas de complot, tout comme pour Charlotte Corday qui avait bien agît seule et non armée par un complot girondin.

La conversation bascule sur le téléchargement audio et vidéo sur internet, la rémunération des artistes, le piratage. Gérald N., le propriétaire fait le tour des tables en racontant des anecdotes vachardes : l’hermaphrodisme d’Amanda L., la méchanceté de Thierry Le L., les amants de Grâce K., etc. Roman P. qui vient d’arriver avec Emmanuelle S. raconte mal une histoire drôle. En se rendant au bar du Mathi’s, Zoé marche sur les grands pieds d’Amanda L. Le Tout-Paris du showbiz continue de défiler au bar. Pendant que Jean-Phi qui a appelé Le Libre Penseur entame avec lui une discussion sans fin au téléphone, Thierry A. l’animateur, tente de convaincre l’ômki de lui laisser Zoé pour faire couple avec lui et entrer dans la boîte à touze d’à côté. Zoé qui veut se défiler, a une autre idée, et appelle Liza qui accepte la proposition. Pendant qu’on attend la téméraire Liza, on assiste à l’arrivée de la bande à Laurent R. L’ômki ne veut pas les rencontrer, il dit pourquoi. On va attendre Liza sur le trottoir. Dernière farce-attrape de la journée : le cigare-pétard offert à un fêtard.

vendredi 12 et samedi 13 février --  LECTUS INTERRUPTUS !

dimanche 14 février -- épilogue et fin à mon journal de lecture, pp. 555-685

Bon, j’ai craqué et finalement j’ai emmené L’Homme qui arrêta d’écrire avec moi pour ce weekend pendant lequel il ne devait théoriquement pas avoir sa place. Résultat, j’ai fini ma lecture vendredi tard dans la soirée, mais je ne pouvais pas le raconter dans la foulée, faute de connexion à internet.

Il faisait très froid et neigeux vendredi matin, j’ai emmailloté L’Homme dans un sac papier Muji exactement à ses dimensions. C’est fou le soin inhabituel que je prends quand je manipule ce bouquin nouveau-né. C'est sans doute que je ressens presque physiquement les difficultés que l’auteur a eues à le mettre au monde, sa passion de créateur, sa joie et sa fierté de l'avoir fabriqué. Il m’arrive même de le tenir serré contre moi (le livre), et de le bercer.

Et aussi, j’ai vraiment envie de tester le regard des voyageurs qui me verront lire L’Homme dans le train, et déjà avant : dans le métro, puis gare de Lyon en attendant l’affichage de mon train pour Bourg-en-Bresse.

Quai G : je m’apprête à dépasser un monsieur énorme qui marche difficilement. Arrivé devant le wagon de première du TGV pour Genève, il stoppe lourdement sa progression et je le reconnais : c’est Guy Carliet, non je me trompe, Guy Carlier. Il me sourit gentiment, un regard très doux. Encore un peu dans le monde de Nabe que je tiens en mains dans son petit sac en papier brun, je m’adresse au journaliste pendant qu’il monte péniblement dans le train :
- heuh bonjour monsieur Carlier, je vais vous paraître présomptueuse, mais je voudrais vous recommander la lecture d’un roman !
- ... (sourire un peu surpris mais encourageant)
- c’est L’Homme qui arrêta d’écrire de Marc-Edouard Nabe !
- non, je ne connais pas...
Je le sens intrigué et lui montre le bouquin, lui explique brièvement qu’il n’est disponible que sur internet.
- Marc-Edouard Nabe... non, je vois pas
- Alain Zannini, le fils de Marcel Zanini
- mais oui, voilà, oui ! merci beaucoup, je lirai, merci !


Voilà, c’est tout, mais je me dis que si effectivement Carlier lit L’Homme, ou bien quand il entendra à nouveau parler du 28 ème livre de Nabe, il se souviendra peut-être de la première fois où on lui en a parlé, sur un quai de la gare de Lyon, le vendredi 12 février !

Je reviens au livre. Mais mon dernier résumé de lecture va être très bref, cette fois. Jazza dans son commentaire de jeudi a un peu ébranlé l’enthousiasme que je mettais à disséquer cette Odyssée 2010... Et puis, Jazza a raison : ne pas déflorer la fin du début.

Je dirai juste que :
- la deuxième partie de soirée du samedi est un doux délire un peu sexe mais pas trop dans un club échangiste de la rive droite où l’homme-qui découvre l’amour collaboratif
- l’homme-qui ne rentre pas dormir chez lui et passe la nuit à la belle étoile, dans un jardin extraordinaire
- j’ai noté une deuxième typo, une coupure d’article (l es) en bout de la ligne 14 de la page 597

Et, le septième et dernier jour... dimanche
- l’homme-qui ressent les premières atteintes d’une crise de manque d’écriture, il ne sait quoi faire pour évacuer le trop plein des sensations accumulées depuis le début de la semaine : “comment on fait pour continuer à vivre quand on ne peut plus faire son oeuvre”
- pourtant comme le lui dit Alain D., le vieil acteur magnifique : “on n’a pas le choix, il faut continuer”

Rappelez-vous j’avais commencé ce journal de lecture avec la question : qui est Emma ? Une réponse possible mais il y en a sûrement beaucoup d'autres : elle est celle, l’unique, qui appelle l’homme-qui par son nom, à la page 598 :
“Nabe, vous n’allez quand même pas pleurer parce que vous êtes seul ! D’ailleurs, vous n’êtes pas seul, puisque je suis là.”

- en remontant les Champs-Elysées derrière la belle Emma comme Orphée suivant Eurydice, l’homme-qui rencontrera successivement sa maman et son fils. Mais c’est Emma qui le guidera vers la sortie du RER, celle de l’enfer de la non-écriture ?

n.d.l.l. - Les champs Elysées sont à la fois un lieu faisant partie des enfers pour Dante, et pour Virgile (l’écrivain, pas le blogueur) : un lieu d’accueil et de repos pour les vertueux et les poètes...

vendredi 19 février - reprise de mon journal de lecture pour améliorer la fin... 

pp. 555- 685

samedi (2/2) -- après le dîner au Mathi’s : Zoé, Jean-Phi et l’ex-écrivain partent à la rencontre de Liza qui les a précédés dans un club libertin de la rue de Ponthieu.

Au No Comment - le rituel à l’entrée du club - la soirée à thème sponsorisée par Bounty : Tahiti, les vahinés, les danseurs polynésiens - évocation des rêveurs de Tahiti, de leurs déception et de leurs destins fatals : Gauguin, Brel, Brando - les réticences de Zoé qui raconte à l’homme-qui comment son prince écrivant l’a plaquée (à la Mandrake) et comment elle s’est vengée à l’aide d’un rébus (à la Isidore dans AZ) - l’homme-qui s’enfonce seul dans les profondeurs du club - il retrouve Liza en paréo, et ils continuent ensemble la visite...

L’ambiance est sexe mais pas sexy. En 2000 l’échangisme n’est plus ce qu’il était en 1900, du temps de Feydeau. Aujourd'hui, c’est le déclin de la perversité, les couples restent en couple. Liza et l’homme-qui seront tout de même émus de pouvoir servir en duo, d’accoucheurs du plaisir qu’une femme prend avec son mari : “Le voilà le véritable “échangisme”, c’est pas de baiser la voisine, c’est de participer à l’amour des autres...”. Finalement assez chastes, il remontent vers la réception du club où les attendent Zoé et Jean-Phi. L’homme-qui parvient à placer sa dernière farce du jour : un doigt tranché en caoutchouc acheté le samedi matin chez Rire Fou.

Les amis se quittent sur la promesse de se retrouver pour canoter sur le lac du Bois de Boulogne, le lendemain, dimanche. Jean-Phi et l’ex-écrivain font quelques pas ensemble. L’homme-qui dit à son ami toute sa reconnaissance pour le bonheur qu’il ressent à vivre une nouvelle vie. Ils se séparent un moment pour pisser. Dans le noir, ils se perdent de vue. L’homme-qui s’égare, dégringole et s’écroule dans les buissons. Il rêve qu’il est un dormeur dans un vallon humide et qu’une fille-soleil vient danser à ses pieds.

dimanche -- un rayon de soleil dans l’oeil réveille l’ex-écrivain qui s’était endormi dans le seul jardin de Paris qui reste ouvert la nuit.

Au jardin Marigny, allée Marcel-Proust - "Proust... Moi, c’est surtout sur ses plates-bandes que j’ai marché trop longtemps : la mémoire, d’autobiographie, le sauvetage d’une époque, le temps, la mémoire des êtres, la mort des êtres, leur vieillissement.” - petit déjeuner tardif chez Lenôtre - l’homme-qui ressent les premiers symptômes du manque d’écriture, le mal de l’abstinence - “C’est comme si j’avais la nausée et je ne puisse pas vomir” - “Tout me ressort d’un coup, les gens, Paris, le travail, l’argent, les femmes, je ne sais plus... Un flot de cafard me submerge.” - même plus l’envie de rejoindre ses amis au Bois - soudain, une diversion : l’envahissement du jardin par les sympathisants conspirationnistes du Libre Penseur devenu gourou-prédicateur pour une procession, une “croisade d’anges perdus” aux couleurs felliniennes - Carré Marigny, le marché aux timbres où l’homme-qui fuit le rassemblement LLP - il rencontre son acteur vivant préféré : Alain D. qui l’invite à le suivre dans sa loge au théâtre, à deux pas

Au théâtre Marigny - dans la loge d’Alain D. avant la dernière en matinée (normal on est dimanche) de La Route de Madison - l’homme-qui se passionne pour le héros delonien, toujours rongé par un complexe d’identité , "une histoire de double destructeur et à détruire” qui rend légitime l’utilisation tant moquée de la 3ème personne du singulier lorsque l’acteur parle de lui-même - le grand acteur cherche à savoir pourquoi l’homme-qui a arrêté d’écrire - il tente de le convaincre qu’il faut faire comme lui : continuer à tout prix, quitte à porter une jupette dans Astérix - se penchant sur son passé artistique : “C’est là qu’on s’aperçoit qu’avoir fait des chefs d’oeuvre, ça n’empêche pas d’être paumé” - l’homme qui, ébranlé, demande à Alain D. : “Comment on fait pour continuer quand on ne peut plus faire son oeuvre ?” - comme la sirène annonciatrice de désastre, la sonnerie de début du spectacle retentit - “Ce n’est pas seulement une pièce de théâtre qui va commencer, c’est tout un monde qui se termine.”

Le manège arrêté - la jolie jeune fille en short blanc - “Emma Pasquier... C’est donc toi ?” - “Je suis votre plus grande lectrice “ - “Vous ne pouvez pas arrêter d’écrire, c’est consubstantiel à votre vie comme Charlie Parker qui a joué du saxo jusqu’au bout.” - l’homme-qui fait un malaise - la purification par l’eau - la renaissance - “Un ange passe. Il perd une plume, que je ramasse.” - En route vers l’Etoile avec Emma, l’homme-qui croit entendre le fantôme de Sacha Guitry animant une séance de marionnettes au théâtre de Guignol - les clochards du Rond-Point - la montée vers l’Etoile commence là - l’homme-qui cherche une croix à porter sur son dos, il n’y a que celle, verte, de la pharmacie de l’ancien drugstore

Sur l’avenue - les beautés cachées des Champs - “Même la Pizza Pino, sûrement la plus mauvaise pizzeria d’Europe a sa beauté.” - Au Madrigal, l’homme-qui se souvient de la chute du Baron, observe la nouvelle misère des filles publiques, et regrette la fin des bars à hôtesses - à la demande d’Emma, il raconte Magalie, sa première pute, en 2001 - l’officine du détective privé - les derniers cinémas - “Aller au cinéma sur les Champs Elysées, qu’est-ce que c’est encore que cet acte vieillot.” - où l’ex-écrivain qui s’y connait pourtant, prend des beurs de la banlieue pour des arabes - où Emma a faim - le couple traverse l’avenue et s’installe à la terrasse de la Maison d’Alsace

Il ne pense qu’à Elle, et pendant plusieurs pages il ne se passe pas grand-chose. Ils dînent. “Voilà ma choucroute et son loup. Un couple idéal...”. Ils se font du charme, des déclarations d’amoureux. “Je vous lis des nuits et des jours entiers sans m’arrêter, en entendant tout ce que vous me dites, en comprenant tout ce que vous avez compris, en voyant tout ce que vous avez vu, en sentant tout ce que vous avez senti. C’est génial.”. Elle lui raconte ses petites histoires. Il pense : “Je pourrais passer les prochaines années de ma vie à la regarder vivre.”. Un ange passe (encore un).

Au Virgin Mega Store - le magasin ouvert mais vide - un Laurent Bonelli bien vivant les accueille à bras ouverts (le libraire est mort du cancer à trente neuf ans en 2006) - Bonelli enthousiaste sur l’oeuvre de l’ex-écrivain - où l’on cherche partout les exemplaires de ses livres - où l’homme-qui “se trouve” sur la table des auteurs morts - Bonelli promet à l’ex-écrivain d’installer tous ses livres sur l’escalier d’honneur, là où l’on dispose les best-sellers et les dernières BD - “Vous n’avez rien à faire parmi les auteurs morts. Vous êtes un auteur vivant, vous entendez ? Vivant ! Vivant !”. - un bon libraire est un libraire mort, cqfd

Sur l’avenue - les terrasses des bars - la foule - chez Sephora - les galeries - les boutiques fermées - un orage - des baisers - devant chez Ladurée, ils sont la cible d’une bataille de macarons - ils se réfugient au Deauville, à l’abri des tirs sucrailleux de la bande de petits roumains - la faune de nuit - les michetonneuses - “Il faut faire quelque chose pour sauver la prostitution en péril en France...” - un vieil acteur du porno donne des nouvelles de la profession, déprimantes - le Deauville ferme - sur le trottoir : Tonino le calabrais, doyen des rabatteurs - la radiographie des poumons de Tonino - en transparence au milieu des nuages de poumon, l’homme-qui voit Emma qui l’attend...

n.d.l.l - un hommage ou clin d’oeil à Schuhl ? Ingrid Caven dans Ingrid Caven observait son cliché radio sur un trottoir en sortant de chez le médecin. Charles, dans Entrée des fantômes fait de même avec la radio de sa hanche : “En transparence, je l’ai juste devinée, venue un instant se superposer à ces formes spectrales un peu nacrées, j’ai détourné les yeux de mon image en négatif et je l’ai vue s’éloigner sur le côté, souple, légère, une allure de danseuse, il m’a bien semblé, un vrai Degas !” (p. 56)

Attirée par la musique et la lumière, Emma est entrée aux Cascades Elysées. L’homme-qui veut la rejoindre, mais depuis le trottoir il aperçoit à travers la vitre sa mère installée à une table. Elle l’attend depuis des heures, lui dit-elle. “J’ai fini par me poser ici. Je savais que tu passerais par là. Je te reconnais à peine... Tu es dans un état. Tu ne vois pas que tu souffres ? Tu ne vois pas que je souffre ?”. Un peu mentalement confuse, elle se croit rue de Paradis à Marseille. Elle est venue dire à son fils qu’elle s’apprête à entrer une nouvelle fois en clinique pour soigner sa dépression chronique, son anorexie et son début d’Alzheimer. Elle est venue lui reprocher encore d’être à l’origine de ses misères de mère. Il lui présente la nouvelle femme de sa vie. “Maman, Emma. Emma, maman”. Quand l’homme-qui annonce à sa mère qu’il a arrêté d’écrire, elle éclate de joie. “Enfin une bonne nouvelle. Je ne suis pas venue pour rien. C’est le plus beau jour de ma vie”. De gratitude, elle se dégante et lui offre les gants qu’elle portait. “Ça y est. Je ne t’aime plus du tout !” dit la mère à son fils.

En remontant les Champs-Elysées... évocation de Gulliver, et des colons esclavagistes devant l’échaffaudage Vuitton en forme de valise de quatre étages de haut - devant chez Weston, discussion avec un clochard qui s’y connait en beaux mocassins : “Des Weston ou rien.” - où l’on parle des chaussures mal cirées portées par l’homme-qui : ce sont celles de son père “blanchies à force de marcher dans la poussière des ruines de l’Occident.”

Au drugstore Publicis, l’homme-qui perd Emma et se lance à sa recherche - les amazones africaines de la rue de Presbourg - l’ex-écrivain pris dans un flag pour racolage - dérapages verbaux de part et surtout d’autre - jeux de mains - le sang coule un peu - à la vue des menottes, l’homme-qui prend ses jambes à son cou, évite un peu plus loin une nouvelle rafle à la sortie d’une boîte de nuit et poursuit son tour de la place par la rue de Presbourg, dans le sens des aiguille d’une montre - une section de légionnaires en grand uniforme tourne en silence autour de l’Arc de Triomphe

Avenue Foch : personne n’a vu Emma entrer au Duplex - rencontre avec une bande de déconneurs professionnels que l’ex-écrivain a connu jadis : “Ça ne me fait plus rire d’être drôle, tu sais... La Parodie était notre Paradis. Il est perdu.” - l’homme-qui a une vision : au lieu des allégories guerrières, ce sont maintenant des cortèges d’anges et d’archanges, un Christ rigolard, une Vierge triomphante, qui ornent l’Arc - guet-apens dans une cabine téléphonique : trois beaux jeunes homes le menacent d’un couteau - le jeu du portefeuille - l’homme-qui a bien résolu les trois énigmes : son fils lui apparaît et lui extorque les gants de sa grand-mère - les quatre garçons s’éloignent

Au coin de l’avenue Hoche : rencontre avec Magalie, retrouvée à l’endroit même où l’homme-qui l’avait embarquée il y a longtemps - elle lui raconte sa déchéance et le remet sur les traces d’Emma - pendant qu’il tournait dans l’autre sens, elle avait seulement traversé les Champs et l’attendait sur le parapet de la station de RER.

Emma entraîne l’homme-qui dans les profondeurs du RER - c’est nouveau pour lui. Ils montent dans une rame dont il ne connaît pas la destination, il s’en fiche : “Si j’écrivais, je ne pourrais pas reproduire sa beauté, tout artiste, même arrivé au plus haut de sa perfection, aurait l’esprit affaibli par son sourire.” - les gares de banlieue, comme en orbites, autour de Paris - arrivée au terminus du train : “On est seuls au monde. Adam et Eve au Paradis.”

J’arrête là, mais il reste une dernière demi page : le sourire d’Emma, un chien de secours en montagne avec des étoiles dans ses yeux, un tunnel, et le jour qui se lève.

--- fin ...


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