[vu, lu] richard stallman et la révolution du logiciel libre, une biographie autorisée
samedi 16 janvier 2010
L'un écrit, l'autre code. L'un ne parle pas le français, l'autre, si. Tous deux aiment parler devant un public. Tous deux sont des génies, asociaux, caractériels, mais terriblement charismatiques. Je suis allée revoir et écouter le second.
Richard Stallman et la révolution du logiciel libre - envoyée par Groupe_Eyrolles (longue, 1 h 15 mn)
Richard Stallman et la révolution du logiciel libre - Une biographie autorisée
Richard M. Stallman, Sam Williams, Christophe Masutti, Eyrolles, janvier 2010, 323 pages
Publication sous la licence GNU Free Documentation License, annexée à l'ouvrage
Pour ceux qui savent pas encore : Richard Stallman, mathématicien et informaticien de génie, a révolutionné l'histoire du logiciel en fondant le mouvement pour le logiciel libre (Free Software Foundation) dans les années 80. Il est lauréat de la fondation MacArthur. C'est aussi l'homme qui dit non chaque fois qu'on lui demande d'accepter les termes d'une licence pour pouvoir charger un nouveau logiciel sur son ordinateur !
A Paris cette semaine, RMS (Richard Matthew Stallman) a fait une présentation de son autobiographie autorisée publiée aux éditions Eyrolles. J'y étais. Cela se passait dans le grand amphithéâtre bondé de la librairie, boulevard Saint-Germain. A son habitude, Stallman a improvisé sans notes un discours d'une heure quinze, truffé de calembours, de jeux de mots et d'à-peu-près drôlatiques, dans une langue qui n'est pas sa langue maternelle !
Je suis un personnage controversé. En ouvrant sa présentation, Stallman ne rassure sans doute pas les rares personnes dans l'auditoire qui ne le connaissent pas déjà. Le voyant arriver et s'installer calmement, ils doivent se demander qui est cet étrange énergumène, au look de biker sans Harley ni cuirs, en tee-shirt à manches courtes et pantalon baggy. Pendant les introductions, il baille, se gratte le nez. Mais dès qu'il se met à parler, on oublie son physique d'olibrius chevelu et barbu.
Les habitués connaissent son discours politique et libertaire, mais c'est bon de constater que malgré les années qui passent, Stallman apparait toujours aussi enthousiaste mais lucide, obstiné dans ses convictions mais pas fanatique, simplement et fermement désireux de sensibiliser son public à sa cause, l'exigence de liberté.
Quelques une des phrases clé de la conférence de Stallman :
- Il reste beaucoup à faire pour libérer tout le logiciel ! Pour libérer tous les utilisateurs de logiciels !
- Un logiciel libre apporte la liberté aux utilisateurs
- Les droits de l’homme ont préséance sur l’économie, toujours.
- En France, pays des droits de l’homme, l’émergence de lois injustes (hadopi et al.) va mener à l’interdiction de la fraternité informatique en s’attaquant à cette liberté !
- Toutes les oeuvres artistiques doivent être partageables. Tout le monde mérite le droit d’accès à un oeuvre publiée tant que ce n’est pas à but commercial.
- Développeurs du libre et utilisateurs en général sont de plus en plus menacés par des procès à cause du brevet logiciel
- Enseigner l’utilisation de logiciel privateur (avant on disait : logiciel propriétaire) à l'école, c’est comme inciter à l’usage de la drogue, c’est un entraînement addictif, poussant à la consommation
RMS n'a pas manqué à sa réputation de showman, en interprétant brillamment et toujours en français, avant les questions... son fameux sketch de St IGNUcius de l'Eglise Emacs :
- à découvrir sur la vidéo, vers 45mn (la petite voix dans la salle qui souffle à Stallman la prononciation de "chisme, un chisme"... c'est moi !).
- apprécier aussi, vers 65mn, sa digression sur la comparaison entre le danger du terrorisme aux USA (9/11), le coût de la guerre en Irak et Afghanistan, et celui de l'absence de couverture sociale pour les américains.
- également, les flèches contre les lois injustes de l'administration Sarkozy, vers 20mn et vers 45mn.
Cette deuxième édition de la biographie de Stallman devait être une simple traduction en français du travail de Sam Williams en 2002. Mais au fil des contacts entre éditeurs, traducteurs, et avec bien sûr le sujet même du livre, c'est une réécriture presque complète qui est finalement entreprise.
C'est une lecture absolument passionnante de l'aventure qui commence au MIT avec les débuts d'un jeune matheux surdoué mal dans sa peau. Il y fait l'apprentissage de la liberté, de l'égalité et de la fraternité !
Le laboratoire devient son foyer d'adoption. Il y trouve son équilibre et y forge peu à peu sa doctrine personnelle vis à vis de l'accès des hackers au code des logiciels dont ils ont besoin, de leur modification pour les améliorer et les étendre, et du partage communautaires des nouvelles versions ainsi produites.
Hacker, n'est pas Cracker ! C'est au contraire le terme noble que Stallman utilise depuis ses débuts au MIT pour désigner les programmeurs du libre.
Les réussites, les obstacles, puis bientôt le chisme de l'open source, font que le combat de Richard Stallman vers la liberté n'est pas encore gagné, et qu'il continue trente ans après à se battre pour ses idées.
Happy Hacking! (c'est la dédicace courte et efficace, mais pas du tout personnalisée.... que Stallman a apposé sur mon exemplaire de sa biographie modifiée et autorisée !)
Richard Stallman parle aux français...
(pour finir, je recopie un extrait que RMS a rédigé lui-même spécialement à l'attention de ses lecteurs français, p. 263)
" Et en parlant de liberté...
Aux Français, j'explique le logiciel libre en trois mots qui devraient leur être familiers : liberté, égalité, fraternité.
Liberté parce que chaque utilisateur est libre de l'usage qu'il veut faire du programme. Egalité, parce que le logiciel libre ne confère à personne de pourvoir sur personne. Fraternité, parce que les utilisateurs peuvent s'entraider, en partageant des copies et en développant en collaboration leurs versions. Il va sans dire qu'aujourd'hui, vue l'omniprésence de l'informatique dans la vie, la fraternité en informatique ne se limite plus aux seuls logiciels. Partager des copies des oeuvres publiées est une pratique commune, fort utile. Cette pratique ne doit souffrir aucune entrave.
Or, dans le monde, les Etats qui sont dominés par l'empire des entreprises mènent une guerre contre la pratique du partage, au point d'en faire paraître la simple notion comme aberrante, antinaturelle, voire barbare. Ils l'appellent "piraterie" comme si partager équivalait moralement à attaquer et piller un navire.Cette guerre est orchestrée par l'industrie du divertissement. Avec la loi HADOPI, la France en est la victime emblématique. Avec cette loi, je crois que l'actuel gouvernement français porte atteinte du même coup aux trois valeurs de liberté, d'égalité, et de fraternité. Liberté parce que cette loi institutionnalise la chasse à ceux qui osent partager. Egalité, parce que cette loi n'octroie qu'à quelques organisations privées le pouvoir exclusif de la dénonciation. Fraternité, parce que son but est d'écraser l'entraide qui lie les citoyens.
L'aspect qui révèle le plus clairement la nature tyrannique de la loi HADOPI est qu'elle cherche à imposer à chaque Français le rôle de soldat d'une guerre contre les autres : celui qui ne sécurise pas son réseau, c'est -à-dire, qui n'aide pas ses maîtres à maintenir leur joug sur les autres, risque d'être puni pour être resté neutre. Cette pratique de "responsabilisation collective" est le recours classique des gouvernements injustes dont le but est d'exploiter leurs sujets.
Défier la responsabilisation collective pour protéger les concitoyens contre l'empire est le premier pas naturel de la résistance.
J'ai l'ardent espoir que les citoyens français sortent vainqueurs de la bataille qui les oppose aux entreprises impérialistes qui ont exigé l'HADOPI, et qu'ils résistent aux politiciens serviles qui, sous leurs ordres, l'ont imposée.
Il faut en finir avec cette loi et son premier essai, DADVSI, mais aussi avec toute loi qui interdit aux gens de partager entre eux les copies d'une oeuvre publiée.Richard Stallman "
Mise à jour le 17 janvier : Richard Stallman était le lendemain à Grenoble où il semble qu'il ait fait un discours sur d'autres thèmes encore ! C'est ce que rapporte Adrian Gaubert sur son blog dans un compte rendu très détaillé.