[lu] tohu-bohu, journal intime 2, de marc-edouard nabe
mardi 12 janvier 2010
du samedi 16 février 1985 au vendredi 13 juin 1986, pp. 827-1648, index
éditions du Rocher, novembre 1993
Un fameux tohu-bohu : c’est pour commencer ce que déclenche l’émission Apostrophes du 15 février 1985 dans la vie quotidienne de Marc-Edouard Nabe.
Le jeune auteur de Au Régal des Vermines, s’était attendu à beaucoup de choses, bonnes et mauvaises, mais certainement pas à servir de punching-ball à un journaleux énervé, Georges-Marc Benamou, téléspectateur soit-disant outré par son comportement et ses propos au point de venir faire le coup de poing sur le plateau d'Antenne 2 après l’émission.
Pendant plusieurs semaines, Nabe restera cloîtré dans son petit chez lui, d’abord de crainte d’autres représailles, mais surtout pour laisser retomber l’indignation médiatique, soigner des plaies bien réelles et d’autres moins, retrouver des forces auprès d’Hélène la très belle, et se préparer à repartir combattre aux fronts de la littérature, de la peinture et du jazz.
Le précédent et premier volume du Journal intime c'est : Nabe's
Dream
Les volumes suivants du Journal intime sont : Inch'Allah, Kamikaze
Avec Tohu-Bohu comme avec Nabe’s Dream (journal intime, tome 1), un grand plaisir de lecture naît de la narration précisément datée, régulière, au quotidien, d’événements souvent petits plutôt que grands, et de pensées légères ou profondes, selon les jours et les humeurs de l’auteur.
Cela crée un suspens délicieux, addictif : qu’est-ce qui va lui (leur) arriver demain ?
Je sais aujourd’hui, que même si il les a écrites au jour le jour ou presque, Nabe a pu retravailler ses notes quotidiennes pour publier le journal de 1985-86, sept ans plus tard en 1993, tel que je le lis aujourd'hui en 2010.
En 1985, Nabe n’avait pas encore décidé de publier le journal intime. Je saurai sans doute un jour (en lisant Inch’Allah ? Kamikaze ?) ce qui l’a amené à cette décision, et ce que cela a pu changer dans sa conception du journal intime et de son élaboration.
Pour le moment, j’observe seulement que des textes additionnels ont été placés par l'auteur dans Tohu-Bohu, en chronologie mais sans doute après coup : tout d’abord, les fac-simile d'articles de presse sur la sortie du Régal, des lettres de lecteurs, puis les extraits feuilletonesques d’un conte qui ne sera jamais publié : Bordelgrad, le cinquième voyage de Gulliver.
On trouve aussi des textes très construits, comme des chroniques : sur le jazz, des musiciens, des peintres, des écrivains, le cinéma, le théâtre.
Cela rajoute une dimension au plaisir de lire le journal intime, un peu comme des papillotes surprise dans un calendrier de l'avant à rallonges !
Vie quotidienne de l’écrivain mis à l'index médiatique
Une fois le choc d’Apostrophes amorti, la menace d'un procès intenté par la LICRA écartée au moins provisoirement, l’éditeur Bernard Barrault a une idée très empathique et généreuse : envoyer son auteur rincé et sa belle en vacances, aussi longtemps qu’ils le souhaitent. Nabe met alors sur pieds un plan touristico-picturo-littéraire ambitieux, sur plusieurs mois, en auto, devant les conduire en Italie de villes en musées, après un séjour familial dans le midi, chez la tante et la grand-mère du côté paternel. Et surtout, le projet d’un grand premier roman : Errance.
Quand j’ai lu ça je me suis dit, chic ça y est, il va raconter l’écriture et l’édition de Le Bonheur !
Mais non. Voyage décevant, écourté, retour sans gloire à Paris après quelques jours. Errance avortée, est mise en cartons.
Seulement les cartons justement, ils vont voyager, eux. Trois adresses en moins de deux ans.
De la regrettée rue Boissy-d’Anglas, au contingent gourbi du quartier des Epinettes (qui sera pourtant sublimé plus tard dans Le Bonheur !), pour finir dans le laborieux studio du bas de la Butte-aux-Cailles.
Tant bien que mal, le couple Nabe s’accommode de la vie d’artistes.
Quelques échappées belle-familiales dans les Ardennes. Arrivée dans la petite famille de la chatte Pin’up, exfiltrée des Epinettes, futur personnage du Bonheur et de Alain Zannini.
Cinquante francs par jour ! A vingt-six ans c’est dur de dépendre de ses parents. Opiniâtrement, Nabe apprend l’indépendance financière, les négociations commerciales avec les éditeurs. Il ne désespère pas d’être mensualisé un jour, comme certains auteurs, et s’y emploie sans grand succès encore. En attendant, tout pour la littérature !
Les nouveaux venus...
Les lecteurs-amis : Pierre Pascaud, Eric Mazet, Jacques d'Arribehaude. Qu'il s'agisse d'échanges épistolaires ou de rencontres dans la vraie vie, la relation avec les lecteurs est une nouveauté pour Nabe, et il s'en pourlèche, au début.
Hélène et lui feront une expérience bien amère en acceptant l'invitation de Mazet à venir passer de longues vacances chez lui ! Bienheureusement, cela nous vaut quelques pages drôlatiques et plus, dans le journal.
Jean-Edern Hallier : Nabe danse une sorte de valse hésitation, alors que Hallier déborde d'enthousiasme, d'impatience et de projets pour son nouveau coup de foudre littéraire. Round d'observation.
Arletty : la rencontre avec la vieille comédienne prépare celle avec Lucette. Pourtant Arletty ne "LA" porte pas dans son coeur. C'est Céline, mais aussi Guitry, à qui Nabe rend visite chez Arletty.
Il n'y aura pas de rencontre mais de nombreux entretiens téléphoniques entre Nabe et une autre veuve : la roumaine caractérielle, Madame Veuve Rebatet.
Les anciens venus...
On
retrouve Albert Algoud, “l’ami fidèle”, kleptomane et avaricieux.
Jackie Berroyer, “le con instruit”. Francis Paudras, mais la
calamiteuse aventure du tournage de Autour de Minuit de Tavernier, va distendre leurs relations.
Toujours la bande de Hara-Kiri autour de Choron, et les fameux mardis de la rue des Trois Portes. Mais petit à petit l’ambiance n’y est plus, Hara-Kiri c’est fini.
Les disparus...
Dans le journal intime, Nabe prend l’habitude d’écrire la nécrologie du grand mort du jour, quand il y en a un.
Le 12 octobre 1985, la disparition d’Orson Welles lui inspire un bel hommage fervent. Par contre le 14 avril 1986, la notice nécrologique de Simone de Beauvoir est toute autre, lapidaire !
Mais il y a aussi les suicides... bizarrement sur une très courte période, Nabe sera marqué par plusieurs disparitions volontaires, terribles, plus ou moins proches : Odile Bernier la femme de Choron, Luce de l’entourage de Choron elle aussi, Laurent Goddet (journaliste spécialiste du jazz, ami), l’actrice Dominique Laffin (elle, je me souviens bien de sa disparition qui m’avait touchée à l’époque ; sa fille qui devait être toute petite, c’est Clémentine Autain, la députée communiste).
Le jamais-revu...
L’ami à vie, le copain de régiment, Maes, dit Maestro.
Ce sont des pages magnifiques et un peu folles, écrites à la date du 24 octobre 1985, jour où Hélène fait faire à Nabe le pélerinage de la caserne de Charleville.
La littérature
Au final le bilan écriture de cette courte période de quinze mois est impressionnant : trois nouvelles publications, un flop, un espoir de succès, deux nouveaux éditeurs.
Zigzags, recueil d’essais chez Barrault : le flop, la déception. Nabe mettait beaucoup d'espoir dans cette publication complémentaire et inverse video du Régal.
Chacun mes goûts, plaquette d’aphorismes aux éditions Le Dilettante.
L’Ame de Billie Holiday, écrit en quinze jours dans les Ardennes, publié par Bourgadier (enfin !) chez Denoël.
Le jazz
Le feuilleton Sam Woodyard continue, et va se transformer en affaire, cruelle pour le bon Marcel.
Sam, l'idole de Nabe, batteur de légende chez Ellington, totalement inconnu à Paris, s'affaiblit, tombe très malade, est hospitalisé.
C'est ce que semblait attendre une drôle de créature qui se prend pour la baronne Pannonica sans en avoir ni le coeur, ni la tête, ni les moyens. Sous prétexte de sauver le musicien sub-claquant, elle le sépare brutalement et méchamment de ses amis musiciens parisiens et du clan Zanini.
Le Petit Journal (Saint-Michel) :
"Je vais finir par apposer des plaques partout dans ce Petit Journal... Tant de rencontres, de télescopages de personnages ! C’est le refuge sacré de mon élite intime : un jour ou l’autre tous mes soldats se sont retrouvés, ici, entre deux guerres..."
"Vous vous reconnaîtrez !"
C’est une petite phrase énigmatique dans Alain Zannini, mais pour moi elle résonne partout dans l'oeuvre de Nabe. C'est ce qui crée l'interactivité avec le lecteur, dans le journal intime, comme dans le roman. J'ai déjà dit à propos de Nabe's dream et de AZ combien j'aimais tomber par surprise, sur des personnes, des lieux, des événements que je reconnais, qui font partie de ma vie, réelle ou virtuelle, passée ou présente.
Les soeurs Martin : les libraires de Voyelles, la librairie de mon ancien quartier, rue des Entrepreneurs ! Je les connaissais déjà en 1986 ! Je ne sais plus où j'ai acheté AZ en 2002, mais une chose est sûre ce n'est pas chez elles ! Elles ne pouvaient pas voir Nabe en peinture, et c'était évidemment réciproque à lire le portrait sans pitié qu'il leur tire. Chez elles un jour, j'avais croisé Polac qui habitait rue de l'Eglise...
BW, c'est Bernard Wallet, alors éditeur chez Denoël et qui travaille sur L'Ame. J'ai fait sa connaissance livresque cet été dans le roman éponyme BW, de Lydie Salvayre. Dans mes notes de lecture, je faisais ressortir le désenchantement de Wallet devant le désastre de l'édition, véritable raison de son renoncement à un métier qu'il a tant aimé dans les années 80.
Jacques Sternberg, était Le Dériveur, l'amant de Dorothée Blanck dont j'ai découvert il y a peu le blog infiniment touchant. Nabe rencontre Sternberg, mais ne lui porte pas un intérêt particulier, et réciproquement.
Le Heysel (29 mai 1985). J'ai un souvenir cauchemardesque de cette soirée. Pourquoi étais-je devant la télé et pour un match de foot, ce jour-là justement, alors qu'Alain était en déplacement à l'étranger ? Avec l'attentat du 11 septembre, ce sont pour l'instant les seules catastrophes humaines auquel j'ai assisté en direct, du moins en temps réel, sur le petit écran. La chronique de Nabe sur le drame du Heysel est brillante, violente et cruelle, comme l'événement.
Le Petit Journal St Michel, je ne le connaissais pas à l'époque de Tohu-Bohu, mais ce que Nabe en dit en 1986 me parait tellement familier ces jours-ci...
Le 15 avril 1986, c'est la Journée du monde (?) pour Nabe. Pour moi c'est le jour de la naissance de Clément-Fils.
En avril 86, il avait neigé sur Paris, et alors que je finissais de lire Tohu-Bohu il y a quelques jours, le boulevard Pasteur ressemblait presque à une peinture d'Utrillo.
Le précédent et premier volume du Journal intime c'est : Nabe's
Dream
Les volumes suivants du Journal intime sont : Inch'Allah, Kamikaze
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