[relu] alain zannini, roman de marc-edouard nabe
mardi 04 août 2009
Cet ouvrage épuisé n'a pas été réédité, ni publié en format poche ; on ne le trouvera à la vente que d'occasion, et en prêt dans de trop rares bibliothèques municipales
! mise à jour janvier 2010 : maintenant disponible sur marcedouardnabe.com, 50 euros (jusqu'à épuisement du stock)
En mars dernier lors d'une rencontre avec l'auteur, nous avions parlé de Patmos, donc de Alain Zannini, et je lui avais raconté ma petite anecdote sur le nageur de Patmos, Jean Piat [lien].
- alors vous avez vu ? j'en parle dans AZ, me dit-il ! et aussi d'un autre Jean de théâtre, Jean Marais !A ma grande confusion, je n'avais aucun souvenir d'avoir encore une fois croisé le beau Jean (celui qui est encore vivant), mais cette fois-là entre les lignes du roman de Nabe. Bien sûr m'est venue aussitôt l'envie de (re)trouver l'extrait en question.
AZ c'est huit cent et quelques pages, et je pensais en avoir pour tout un été, que du coup j'espérais presque pluvieux. Hé bien, il n'a fait ni moins ni plus beau qu'un autre mois de juillet dans la Bretagne des forêts et des marais où je passe mes vacances. Pourtant la relecture de AZ ne m'a pas pris plus d'une semaine du début de l'été.
La première fois que j'avais parlé de Nabe sur ce blogue, c'était en mars 2005, justement pour mettre en avant parmi mes lectures préférées cet Alain Zannini que j'avais lu trois ans plus tôt alors que je ne savais encore rien de l'écrivain Marc-Edouard Nabe.
En reprenant le gros roman j'avais décidé de prendre des notes dans un petit carnet, au fil de ma lecture. Vain projet. J'ai seulement noté ceci, je ne sais plus pourquoi...
(parlant de Rimbaud) le génie est aussi une question de caractère volontairement mal maîtrisé
(et plus loin) se retenir d'être génial donne le cancer
Après quoi, j'ai posé définitivement le crayon. Moi qui n'aime pas les manèges forains, je me suis à nouveau laissée entraîner comme sur un grand huit pour un voyage littéraire dans tous les sens et toutes les dimensions à la fois : terrestre, temporelle, personnelle.
Je suis certaine de ne pas avoir lu le même livre qu'il y a sept ans, et je sais maintenant que je relirai encore AZ, plusieurs fois. Promesse : d'autres notes de (re)lecture viendront chaque fois compléter les premières que je livre ici en mezze-antipasti.
Au seuil du vingt-et-unième siècle, en septembre 2000, Marc-Edouard Nabe, le narrateur du roman, ne se reconnait plus. Il décide de se fuir, de quitter Paris, le quinzième arrondissement, et de laisser derrière lui ses marasmes en tous genres : familiaux, professionnels, sentimentaux. Il se réfugie à Chora, la ville haute de Patmos (île du Dodécanèse proche de la Turquie), au dessus de la grotte où Saint Jean dicta l'Apocalypse, au pied du monastère austère où les popes noirs gardent énigmatiquement icones, reliques et parchemins enluminés.
Il m'est impossible de raconter en quelques lignes pourquoi et comment le narrateur va se transformer en une espèce de Tintin-Rouletabille et trouver dans l'étrange inspecteur Alain Zannini, un alter ego qui l'aidera jusqu'au bout de la dernière année du siècle, pour tenter de retrouver son trésor chapardé, le manuscrit du cinquième tome du Journal de Marc-Edouard Nabe.
Vous vous demandez comment on écrit huit cent pages sur une intrigue de bande dessinée ? C'est facile, quand on s'appelle Nabe. Chaque rencontre, chaque péripétie vécue sur la minuscule île grecque vous projette alors dans le temps, en avant, en arrière, dans un tourbillon, dans vos rêves, vos réalités, vos vrais faux souvenirs. Et il suffit alors de laisser courir sa plume, simple, non ?.
- Vous vous reconnaîtrez.
C'est la réponse à tiroirs (et à double fond) qui est faite au narrateur (et au lecteur ?) lorsqu'il s'inquiète, au début du roman, de ne pas être en mesure d'identifier le flic que la police envoie sur l'île pour répondre à sa plainte pour vol.
A la fin du roman, avant de se quitter, Marc-Edouard Nabe et Alain Zannini ont cet échange révélateur et interchangeable :
- Vous êtes fou !
- Non, je suis vous.
Vous vous reconnaîtrez. Lorsque j'avais lu AZ la première fois, j'avais déjà bien sûr reconnu Patmos, Grikhou, Scala, les rues de la Convention et Falguière que je connaissais bien, personnellement ! J'avais compris aussi qui était Diane (Tell, la chanteuse canadienne) et Marcel (Zanini, le jazzman français d'origine gréco-turque). Cela m'avait étonnée, sidérée même, et ces surprises n'étaient pas totalement étrangères au plaisir pris à cette première lecture.
Avec la deuxième lecture, j'ai franchi plusieurs nouveaux degrés dans la "reconnaissance des lieux et des caractères". Bien que dans AZ, Nabe ne cite jamais les patronymes, seulement les prénoms, je sais maintenant par exemple, que Philippe est Sollers et que Patrick est Besson. Je sais aussi qui sont Edouard (Baer), Jeannot (Hallier), Stéphane (Zagdanski), Michel (Houellebecq), et quelques autres encore. Pour Jackie (Berroyer), c'était trop facile ! Et puis un soir il y a quelques semaines au Petit Journal Saint-Michel, j'ai croisé la belle Hélène (ah, sa vraie-fausse lettre à son Cher ex !). C'est amusant aussi d'essayer de démasquer les mutiples et différents Alain quelquechose du roman. Et puis bien sûr il y a tous les Jean, les saints et les autres. Et le mien aussi (le Piat), évidemment, à la page 134.
Mais le plaisir de lecture ne vient pas seulement, heureusement, de la connaissance ou de la reconnaissance de personnes physiques dans les personnages de AZ. Ce n'est pas qu'un roman à clés, ou bien alors c'est la salle des coffres à la Banque de France.
Quand on ouvre AZ, il faut savoir qu'on ne sera pas la même personne en le refermant. Et ce à chaque fois qu'on l'ouvrira ! C'est tout un travail que l'on accepte courageusement de faire entre la première et la dernière page, sur sa propre mémoire, ses propres souvenirs, ses propres lectures. Une semaine ne suffit pas évidemment, je vais laisser passer un peu de temps, pas trop cette fois, pas sept années, et alors j'ouvrirai à nouveau la boîte de Pandore et je m'y replongerai avec délices, je le sais, je l'attends.
Voici par exemple deux parmi les attaques de littéropathie (néol. = c'est quand je lis quelque chose que je crois avoir moi-même vécu ou connu) qui m'ont frappée personnellement lors de cette deuxième lecture de AZ :
- les pickpockets sont susceptibles
Nabe raconte le jeu qu'ils avaient, avec Alexandre petit-enfant, dans le métro : quand ils entendaient l'ineffable annonce, le père faisait le clown pour amuser le fils en singeant un pickpocket susceptible pris la main dans le sac et s'indignant violemment de l'accusation. Succès paternel garanti, fiston hilare.
Serais-je une plagiaire inconsciente ? Je ne me souvenais pas avoir lu cette anecdote dans AZ il y a sept ans. Et voilà que sur mon blogue j'avais publié le 27 mars 2005, un dimanche, un billet sur les annonces de la RATP [lien]... dans lequel je parlais bien sûr de celle des pickpockets qui a depuis toujours - croyais-je - chatouillé mes zygomatiques. Imaginez mon dépit en réalisant (gramm. verbe réalire ?) il y a quelques semaines l'origine de ma petite inspiration d'alors, et l'antériorité nabienne indiscutable !
- le naufrage d'un ferry devant l'île de Paros (Cyclades)
Bon là il s'agit d'un fait-divers dont chacun peut avoir eu connaissance, sauf qu'à l'échelle de la Grèce dans le monde, c'est un tout petit accident même si il s'avéra mortel pour une centaine (c'était moins dans mon souvenir ?) de passagers du bateau. Seulement je connaissais très bien (aussi) l'île de Paros, le rocher à l'entrèe du port, les remous entre Naxos et Parikia, et cette histoire qui date de septembre 2000 m'avait alors beaucoup frappée en tant qu'ancienne passagère de ferry (ce ferry ?). Nabe rapporte que c'est parce que le commandant s'était isolé avec une passagère dans sa cabine que le bateau s'est fracassé sur les rocs. Dans mon souvenir, c'était parce que tout l'équipage était rassemblé devant un match de foot à la télé !
Lectrice lambda, si j'ai reconnu ou fantasmé des moments ou des sentiments personnels dans Alain Zannini, je suis convaincue que chaque lecteur de AZ y trouve les siens propres. Et qu'il existe ainsi autant de AZ que de lecteurs de ce roman magique qui est plus qu'un miroir. C'est une boule de dancing. Il faudrait pouvoir réunir tous les commentaires, toutes les notes de lecture en un seul recueil et en faire ainsi une nouvelle source inépuisable d'histoires liées entre elles par AZ, à l'infini.
Ne vous agitez pas, ça va venir, on va en parler, je sens que vous voulez demander ce que je pense des scènes de sensualité, pour ne pas dire de cul, dans AZ. Hé bien il y en a pas mal, comme toujours avec Nabe, et elles sont drôles, tendres ou moqueuses, coquines ou calamiteuses, justes. Je ne me souvenais pas du Paradis ni des Putes, lors de la première lecture. Paradoxalement dans cette partie du roman il y a peu de scènes de sexe (c'est le Repos de l'Artiste), les relations de Nabe avec les pensionnaires-hôtesses de la boîte de nuit parisienne restant chastes, affectueuses et reposantes, à la différence de celles avec sa Femme et avec ses Maîtresses !
Et la tendresse, bordel ! Quand Nabe écrit son accouchement d'Alexandre, les affres des jeunes parents confrontés à la maladie d'un tout-petit, la douleur de la perte David, le cousin adolescent d'Alexandre qui a fait une connerie, alors le coeur des mamans-lectrices s'ouvre ou se serre, selon.
La forme de AZ
J'aime la belle écriture, et celle de Nabe en premier lieu, mais je ne suis pas férue de style, je ne fais donc que donner ici quelques grands traits qui reflètent la structure de l'oeuvre. Comme il y a quatre cavaliers de l'Apocalypse, et surtout quatre évangélistes, il y a quatre parties en Ré majeur dans AZ : Révolution (Mathieu), Révélation (Marc), Rédemption (Luc), Résurrection (Jean).
Ensuite les quarante six chapitres de longueur assez régulière se répartissent équitablement entre les quatre parties. Lire la table des matières à n'importe quel moment avant, après, pendant le roman, est un must. Titrer est un des grands talents jubilatoires de Nabe. Quelques exemples : Zorro est arriviste, Peureux qui comme Ulysse, mais aussi : Le naufrage de la mémoire, La charette du passé, Sec et bouleversant.
Les bonus de AZ
Nabe est superbe et généreux. Il parsème son roman déjà foisonnant de pépites qui regroupées pourraient faire l'objet de petits (à l'échelle Nabe) morceaux publiables indépendamment de AZ :- comme disait ma grand-mère (les jeux de mots de la terrible Paraskevi, flemme femme née dans le Phosphore Bosphore)
page 562 : " ... franchir le "Rubicon" ("rafraîchir le rubis du Con", comme disait ma grand-mère)..."
page 345 : parlant du roman Lucette : " ... mon roman éponyme ("En peau de Nîmes", comme disait ma grand-mère)..."
- ainsi parla papa (les onomatopées du lunaire Marcel)
Page 48 : "Bien chantée, l'onomatopée jazzistique peut-être un langage d'une force et d'une étrangeté extraordinaire. Papa [...] était très bon là dedans. Il excellait même dans cet art raffiné, byzantin, gréco-turc... Toute son enfance stambouliote, où sa mère lui parlait grec, ses copains d'école turcs et son père français, ressurgissait, du plus profond de lui-même, sous la forme d'exquises absconsités. Dekskizezab Skonçités, Tousdilé, Pigili Poulatata [...]"
A plusieurs endroits du roman, Nabe reproduit des lettres ou cartes postales paternelles qu'il reçoit sur son île: " O mama ki lé pati, .... Ilatouli (Oyé)... Ecépatou ! (page 357)
Voilacétou, méjépa toudi !
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