pourquoi le Somerset ?
[appel] un musée pour Bip

j'y Etaix...

... c'était le vendredi 15 mai à 16 heures au Palais de Justice de Paris, la dernière audience publique de plaidoiries du procès qui oppose Pierre Etaix, Jean-Claude Carrière et la Fondation Groupama Gan à la société Gavroche Productions

La salle d'audience de la Troisième Chambre du TGI de Paris était comble, le public attentif et entièrement acquis à la La Justice au secours (? on espère !) de Yoyo par Cabu restitution des droits des auteurs de cinq longs métrages majeurs rendus invisibles à la suite d'un imbroglio juridique courtelinesque.

Arrivée tôt, j'étais assise à côté de... Cabu, qui faisait des croquis pour ses dessins à paraître dans Charlie Hebdo. Moi, je prenais des notes destinées à ma toute première et sans doute dernière chronique judiciaire (à lire dans la suite de ce billet).

Après avoir entendu les plaidoiries des avocats des parties, le tribunal délibèrera et communiquera son jugement le vendredi 26 juin.

La veille de l'audience, le jeudi 14 mai, les 56 546 signatures [lien] de la pétition demandant la ressortie des films de Pierre Etaix avaient été remises à Madame Christine Albanel, Ministre de la Culture.

remise de la pétition : Luce Vigo, Hélène Delavault, Christophe Malavoy, Jacques Weber, Christine Albanel, Alain Jomier, Jean-Paul Rappeneau, Tom Novembre, Philippe Druillet et Cabu

Mon compte-rendu d'audience...

Maître Christian Charrière-Bournazel, Bâtonnier, et un jeune avocat,  assuraient la défense de Pierre Etaix et Jean-Claude Carrière. La SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques) était représentée par Maître Olivier Chatel. La Fondation Groupama Gan pour le cinéma était défendue par Maître Nicolas Boespflug.

La société Gavroche Productions qui prétend détenir les droits exclusifs de l'ensemble des longs métrages de Pierre Etaix et Jean-Claude Carrière, demandait un million quatre cent cinquante mille euros de dommages à la Fondation Groupama Gan pour le cinéma, pour avoir restauré et projeté le film Yoyo en 2007. Cette société était défendue par Maître Alain Weber, du cabinet Leclerc.

En gagnant son box, le Bâtonnier Charrière-Bournazel trébuche et manque s'étaler... une entrée de clown ! Elégamment, il s'esclaffe :
- il ne faut pas imiter Pierre Etaix quand on n'en a pas le talent ! 
Je ne m'y connais guère en plaidoirie, mais la sienne m'a paru donner dans le magistral-serein. Il s'attache à montrer l'incompétence de Gavroche en matière de production artistique, la nullité du contrat signé par Pierre Etaix pour non conformité au droit de la propriété intellectuelle. A établir qu'il a s'agit d'une tromperie minable avec pour résultat tragique la stérilisation d'une œuvre artistique majeure. Il termine en lançant un vibrant appel au tribunal :
- Vous êtes l'espérance à la fois du Droit et de la Justice !

Vient ensuite la plaidoirie de l'avocat de Jean-Claude Carrière. Là, contrastant avec la vedette du barreau qui l'a précédé, c'est un avocat plus jeune et visiblement ému qui vient à la barre. En même temps, ça devient plus technique donc plus ennuyeux. On entre dans les détails du fameux contrat. Pourtant quand je me remémore l'audience, je me rends compte que cette plaidoirie en demi-teinte a finalement mieux retenu mon attention, qu'elle m'a appris plus de choses sur l'affaire, que celles des maitres du barreau. C'est peut-être par compassion avec un malaise que j'ai bien reconnu, celui qui vous prend quand, malgré que l'on soit parfaitement maître de son dossier, on se rend compte qu'on ne possède pas tout le talent et le bagout nécessaires pour faire passer facilement le message, pour faire comprendre, pour convaincre un auditoire. Ce jeune avocat, est un technicien, mais ce n'est pas (encore ?) un bateleur.

La troisième plaidoirie voit l'arrivée à la barre d'un ténor à l'allure plus conforme aux standards de la profession... La chevelure blanche parfaitement ondulée, les lunettes ôtées-remises-ôtées avec effets de manches assortis, Maître Chatel, pour la SACD, introduit la notion d'art industriel. Que vaut une œuvre si elle ne peut être vue ? Dans l'affaire des films de Pierre Etaix, une société dite de production a pris une œuvre en otage, ce qui équivaut à sa destruction. La déontologie professionnelle des exploitants d'œuvres artistiques doit être renforcée d'urgence par l'obligation morale d'assurer l'exploitation audiovisuelle en conformité totale avec les intérêts et les droits des auteurs et du public. L'avocat de la SACD aborde également les sujets connexes de la propriété intellectuelle, de la protection et de la diffusion des œuvres, sujets largement d'actualité en cette période hadopique. Il conclut en réitérant l'appel au tribunal à libérer le joug qui pèse sur les films de Pierre Etaix en cassant un prétendu contrat qui s'est retourné contre les auteurs signataires au lieu de les protéger. Maitre Chatel quitte la barre sur la chanson du vrai (sic) Gavroche :

La nuit on ne voit rien,
Le jour on voit très bien,
D’un écrit apocryphe
Le bourgeois s’ébouriffe,
Pratiquez la vertu,
Turlututu chapeau pointu !

Changement de ton, c'est le tour de Maître Weber, pour Gavroche Productions. Le ton est celui de l'indignation, véhément, théâtral. Qu'on ne vienne pas me dire...! La tactique du plaideur est de montrer que la société Gavroche, bien intentionnée, a fait - contrairement à ce que prétendent ses adversaires - tout ce qui était en son pouvoir pour resolidariser les deux co-auteurs qui d'après elle ne s'entendaient pas si bien que ca parce qu'ils auraient eu des intérêts différents. Le banc des avocats des autres parties, s'agite. L'avocat fait beaucoup de name-dropping ce qui commence à agacer le public. A un moment de la plaidoirie de Maitre Weber, un petit homme assis juste derrière moi jaillit de son banc comme un diable, les yeux exorbités, il tonitrue :
- J'arrive de la Pointe du Raz (!) et je ne suis pas venu pour entendre vos conneries.... Moi, je veux voir les films d'Etaix... Je retourne en mer...
La blonde et douce Odile Etaix arrive à convaincre le marin courroucé de sortir de la salle, et elle l'accompagne. L'incident est clos.
L'irritation déjà sensible dans le public atteint un sommet quand Maitre Weber se retourne, pointe du doigt vers nous et martèle :
- Il n'y a personne parmi vous dans cette salle qui ait aidé Pierre Etaix quand il en avait vraiment besoin (sous-entendu, nous, si !)
- Faire croire à une cabale de producteur contre Etaix, c'est noyer le poisson...
- Vous êtes en train de faire le procès de celui qui a voulu vous aider et à qui vous coupez la main...

Pour la Fondation Groupama Gan, Maitre Boespflug, reste dans le même registre que l'avocat de Gavroche Productions, celui de l'indignation, mais en montant encore d'un ton dans la véhémence, la déambulation et la gesticulation :
- Les bras m'en tombent...
L'avocat défend la pureté des intentions de la fondation qui s'est vue ridiculement accusée d'avoir... aboli la rareté du film Yoyo (sic), en le restaurant et en montrant une copie au public en 2007 ! Comme si pour apprécier pleinement la valeur d'une œuvre artistique, il fallait la garder le plus possible hors de la vue des spectateurs !
La fondation s'estime prise en otage dans cette affaire, tout comme les co-auteurs des films. Des otages salis qui plus est, par l'accusation de contrefaçon et une demande d'indemnisation pharaonique (1450 K euros), alors que le film n'a été montré depuis janvier 2007 qu'à 300 personnes au plus, invitées lors de deux ou trois projections culturelles gratuites en présence de Pierre Etaix.

Rendez-vous au vendredi 26 juin pour le verdict.

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