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[lu] textes et textes Etaix, recueil de textes de Pierre Etaix

histoire de Laurent, ou le journal d'une évaporation

Ce billet est sponsorisé et autorisé par le personnage principal de l'histoire (vraie) que je raconte ici

Zacolor "Du bout du monde, de mon exil volontaire de disparu, je suis grâce à toi l'affaire Gavroche-Etaix que j'avais relayée voici un bail sur un autre blog. C'est presque comme si j'y avais été..."

Je ne révélerai pas comment j'ai pu faire rapidement le lien entre les deux blogues de l'exilé volontaire, auteur chez moi du commentaire que j'ai recopié ci-dessus. C'est un secret professionnel de blogueuse ! Une bonne dose d'intuition féminine (héhé), soutenue par un peu des capacités d'interconnexion de LeFilet 2.0, de l'aide  des moteurs de recherche, et sans doute aussi d'une pincée de la magie de Yoyo.

Toujours est-il que cette re-rencontre inattendue m'a tellement surprise et bouleversée, que j'ai fait part aussitôt, avec des tas de précautions, de ma découverte à Thomas, que je soupçonnais très fort d'être Laurent. Dans mon message je lui disais combien je trouvais cette aventure, vécue ou imaginaire, belle et triste à la fois.

Dans sa réponse Thomas/Laurent confirmait mon intuition, et dans le même élan confirmait aussi qu'il allait réapparaitre bientôt, rentrer à la maison. En France. Et il me demandait si je voulais bien raconter sur mon blogue son tour de passe-passe, son escamotage, une façon de faire son coming-back dans la blogosphère. J'ai accepté.

Alors voici toute l'histoire. Enfin, non bien sûr, pas toute l'histoire, car c'est seulement ce que moi j'en ai compris à partir des traces laissées par Laurent/Thomas sur ses blogues, avant, pendant et après son "évaporation". Le reste lui appartient, à lui,  et aussi à ceux qui l'aiment, ont cru l'avoir perdu, et le retrouvent.


l'histoire de Laurent racontée
par tilly...

1. avant la disparition

Sur le blogue ohlebeaujour, le dernier billet publié par Laurent date du 22 février de cette année. C'est un mème : que feriez-vous si vous aviez 500 euros et 500 secondes à vivre ? Facile, mais pas très utile après-coup, d'y voir un indice de la fuite à venir, surtout quand Laurent écrit :

"Je passe sur les gens que j'aime et que je n'aurai pas le temps d'avertir. Ah si ! Un mail collectif et ceux qui n'ont pas internet seront alertés par les autres. Je ne choisis pas ma mort, alors? [...] Il reste sur mon compte quelques liquidités, je viens de recevoir mon "salaire", mes droits d'auteur/traducteur, plus rien avant 3 mois, mais vu que je ne serai plus là..."

C'est un blogue sympa, un peu mal foutu côté présentation, un peu foutoir, mis à jour régulièrement depuis avril 2006, bien écrit, très lu. Il y a régulièrement une dizaine de commentaires sur chaque article. On sent une petite communauté de commentateurs bien installée, fidèle. Laurent propose la traduction en anglais de certains de ses articles, ce qui se voit peu souvent ailleurs, sur les blogues de vie.

Le dernier billet sur ohlebeaujour recueille 25 commentaires. A cause d'un bug de présentation Blogger, on ne peut pas savoir quel jour ils ont été enregistrés, seulement l'heure. Rien à signaler sur les dix premiers comms qui répondent sur le sujet du billet, rien d'autre, comme à l'accoutumée. Puis petit à petit, le temps passant, les nouveaux commentaires changent de registre : "hou, hou ... y a kelkun ??". Jusqu'à ce que Laurent lui-même intervienne, alors qu'il est déjà au Cap, pour un dernier commentaire sur son propre blogue :

"bonjour à tous et toutes
que dire, comment le dire en peu de mots: j'ai disparu, je fais partie de ces disparus volontaires; trop long trop compliqué à expliquer, pour faire court, j'ai craqué; pardon pour ce silence; ce blog restera en l'état pour témoigner des moments et des gens formidables que j'ai voulu "partager" ... j'essaie une nouvelle vie, sur un nouveau continent depuis un mois ... je vous remercie pour votre fidélité, prenez soin de vous, Laurent"

Encore deux commentaires d'encouragements et de bons voeux de la part de Tulipe et Cantabile, puis le blogue ohlebeaujour se tait définitivement à 3:19 PM, mais on ne sait pas de quel jour !

2. la disparition

"Un soir, entre chien et loup, j'ai tout quitté. Famille, amis, boulot."

Laurent a quitté B., il est monté à Paris. Il a mûri - ou ruminé - sa résolution de disparaître, pendant toute une semaine passée dans des hôtels minables (sic), puis chez un couple d'amis, les seules personnes un peu au courant de son désarroi, semble-t-il. Là, il s'efforce de se dépouiller de l'identité sociale et économique de "Laurent". Cette semaine parisienne fut le plus dur moment de l'épreuve, sans doute. Plus tard il évoquera la tentation d'une disparition plus définitive à laquelle il est parvenu à résister. Cette disparition, c'est un suicide manqué écrira-t-il.

"J'ai pris un billet d'avion pour la destination la plus improbable. Un continent, un pays, une ville où je ne connaissais personne."

Laurent raconte que juste avant de s'envoler pour Cape Town, il apprend être l'objet de recherches de la police alertée par ses proches. Il appelle de lui-même - comme pour son propre kidnapping, raconte-t-il - et parle à une inspectrice à la voix douce qui le félicite de son initiative. Elle lui apprend que sa destination était connue et que s'il n'avait pas appelé, on l'aurait de toute façon interrogé à l'aéroport et qu'il aurait raté son avion. Au lieu de ça, elle l'assure qu'on le laissera voyager comme il l'entend, grâce à cette conversation téléphonique, justement.

Le 30 mars, quelques jours après son arrivée en Afrique du Sud il publie dans un nouveau blogue, le journal de voyage d'un disparu [lien], sous le nouveau pseudo de Thomas, un fac-similé de la courte lettre qu'il avait envoyée à sa famille pour les rassurer quelques jours après sa disparition.

3. après la disparition

"Redémarrer de zéro, c'est essayer de vivre sans compte en banque, sans amis. Mission presque impossible."

Le journal de voyage d'un disparu, si l'on fait exception de son titre explicite, c'est celui d'un tailleur de route, d'un baroudeur solitaire, un peu nonchalant, apaisé, curieux de ce nouveau mode de vie et des gens qu'il rencontre. Le nouveau blogue est clair, bien présenté et organisé, facile à consulter, avec de belles photos, toujours bilingue. Voici le profil que Thomas y affiche :

"now's the time to fill in the identity form; i used to be in the publishing business but, quite unexpectedly, i chose to disappear"

  • Âge : 30
  • Sexe : Masculin
  • Signe astrologique : Poissons
  • Année zodiacale : Mouton
  • Profession : disparu
  • Pays/territoire : Paris, Cape Town, etc. : France, South Africa, etc.
  • Centres d'intéret :  irony, tenderness, straighforwardness, madness, arts

Poissons ? Est-ce que c'est pour les noyer que Thomas se nous trompe de signe ? Ou bien la gémellité est-elle trop lourde à porter et trop caractéristique de Laurent ? Paris ? Thomas a-t-il pensé que Bergerac identifierait à coup sûr Laurent ?

Des questions je m'en poserai encore, longtemps, d'ailleurs j'aime ça. Sur ses blogues, Laurent/Thomas a offert des pistes pour laisser imaginer le comment de son aventure, mais il lâche fort peu de choses pour aider quelqu'un qui ne le connait pas (irl) à comprendre le pourquoi. Dépression ?  Fuite devant des responsabilités trop lourdes ? Mal-être général mis sur le compte de l'arrivée au cap (!) de la trentaine ? Cela reste son domaine réservé, et c'est bien comme ça. C'est Laurent qui écrira lui-même, dans quelque temps, le journal de sa réapparition. Ou pas.

Je ne prétends pas avoir été la seule à faire l'identification Laurent/Thomas sur internet. D'ailleurs on retrouve vite quelques uns des amis de ohlebeaujour sur le journal de voyage d'un disparu. J'espère seulement que ses proches avaient pu faire aussi facilement ce rapprochement, et longtemps avant moi, mais sans oser rien dire de peur d'effaroucher le disparu. Car simplement savoir, ça rassure, et c'est déjà énorme.

Au fil des années, Laurent s'est forgé une personnalité/présence/existence digitale forte grâce à ses blogues et à ses profils sur d'assez nombreux réseaux sociaux numériques : Blog-It Express, Flickr, Facebook, Twitter, et sans doute d'autres que je n'ai pas identifiés. Il est finalement peut-être beaucoup plus difficile de se débarrasser de ces traces numériques que de celles laissées dans la vie civile ! question : Et si - pour peu que l'on y accorde du soin et de la valeur - les liens créés entre personnes à l'aide de blogues, de réseaux sociaux, étaient finalement beaucoup plus forts et protecteurs, que ce que l'on entend dire généralement d'eux (des liens faibles et superficiels, quelques fois destructeurs) ?

Laurent dit qu'il n'est pas le premier ni le dernier à avoir vécu cette expérience douloureuse. Je veux bien le croire, mais cela n'en fait tout de même pas une histoire banale. Toute mère (ou père ou frère, ou sœur...) de jeunes adultes qui lira ce billet aura (comme moi) des frissons d'angoisse rétrospectifs ou anticipés. Ou alors... elle (ou il) se rassurera un peu (comme moi) avec l'exemple de Laurent, en s'efforçant de croire que les nouvelles technologies de l'information peuvent constituer des garde-corps efficaces pour les jeunes gens pris par la tentation du vide.

Adieu Thomas, Laurent revient. Sans optimisme béat, sans pathos, très conscient apparemment des difficultés qui l'attendent encore. Mon souhait, à moi qui ne le connais pas encore du tout, c'est qu'il ait appris à demander de l'aide chaque fois qu'il en aura besoin à nouveau, avant de succomber à la tentation d'une nouvelle évaporation. Facile à dire, pas facile à faire.

Bon anniversaire, Laurent !

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