[Charles le bellevillois] Apprentissage, 1934-1937
[Charles le bellevillois] Paris envahi, 1940-1942

[Charles le bellevillois] Ouvrier comme ton père, 1937-1942

Episode précédent : Apprentissage, 1934-1937
Premier épisode : Charles de Belleville

"... détestent la vulgarité, aiment avant tout ne pas se commettre… au contact assez froid… peu familiers en général… ils ne se livrent guère…”
 

À dix-sept ans tout juste, je devins « ouvrier d'État » stagiaire le 1er septembre 1937, attendant ma majorité – 21 ans alors – et le retour du service militaire pour devenir « titulaire ». Affecté à une équipe de tourneurs de l'atelier de mécanique, j'étais voué aux torturantes manivelles d'une vieille machine usée, quarante heures par semaine. L' atelier de la STCRP était bruyant, sale et puant. Comme au XIXe siècle, les machines étaient entraînées par d'innombrables courroies descendant du plafond. Elles battaient l'air vicié sur une multitude de poulies entraînées par un unique et énorme moteur électrique. L'encadrement, à quelques exceptions près, était à l'image du décor : ouvriers et chefs d'équipe intempérants, contremaître jouant aux courses et empruntant de quoi à ses ouvriers, chef d'atelier quasi gâteux… Fort heureusement, il y avait, se tenant les coudes, une poignée de jeunes ouvriers sérieux et un chef d'équipe honnête. Dans le temps de pause et après le travail, nous jouions entre nous aux échecs ou discutions livres et, bien sûr, politique.

Mon père était l'un des deux chefs d'équipe d'un autre atelier contigu : la forge et les traitements thermiques. Il avait à charge la fonderie, le cuivrage et le régulage, ainsi que les recuits, trempes et revenus de ressorts à lames entre autres. Je déjeunais avec lui, dans son minuscule bureau en tôle, devant les grands fours rougeoyants et les bacs malodorants d'huile de trempe. Chaque matin, il emportait notre repas préparé par ma mère dans une gamelle. Nous le complétions par deux steaks de cheval acheté sur le chemin du travail.

La vie à Paris relevait heureusement le niveau des loisirs. La bibliothèque municipale, proche, rue Fessart, me laissait emprunter trois ou quatre livres chaque semaine. Le grand cinéma Pathé, voisin, de l'autre côté du mur de mon chevet, berçait mes sommeils des beuglements de Maurice Chevalier. À portée de métro, les salles des Grands Boulevards ou des Champs-Élysées offraient leurs exclusivités et m'accueillaient avec les théâtres parisiens, les deux opéras, les salles de concert et les cabarets de chansonniers, sans oublier le tout neuf Palais de la Découverte.

Depuis 1937, j'allais au cours du soir – et du samedi matin – au Conservatoire National des Arts et Métiers. J'y ai suivi sans en manquer un seul, les cours d'électricité industrielle et leurs travaux pratiques. J'y fus bien classé et… médaillé. J'adorais les amphithéâtres du CNAM, les plus anciens comme le plus moderne, où le professeur venait enseigner en habit à queue de pie et noeud papillon. Ma satisfaction était totale, le dimanche matin, au laboratoire d'électricité où, dirigés par l'assistant du professeur, nous réalisions des expériences et relevions des mesures avec de merveilleux instruments parfaitement entretenus, datant du XIXe siècle. Alors que les oscilloscopes électroniques n'apparaîtraient que vingt ans plus tard, nous projetions sur écran, les courbes de Lissajous ou les sinusoïdes du courant alternatif, grâce à un spot lumineux et un miroir tournant à facettes.

Les soixante-douze heures hebdomadaires survenues en 1939, réduisirent sérieusement ces activités studieuses que l'occupation, suivant la « drôle de guerre » finit par arrêter. En remplacement, je m'inscrivis dans un cours d'anglais en octobre 1940 ! Il avait lieu en Sorbonne et j'étais probablement le seul ouvrier noyé parmi les lycéens en difficulté, élèves d'une vieille Anglaise, bloquée par la guerre à Paris.

Manifestation C'est ainsi que je me rendis le 11 novembre 1940, à la première manifestation gaulliste à l'Arc de Triomphe. Pas très nombreux, nos groupes clairsemés, sur la place de l'Étoile et les Champs-Élysées, étaient pourchassés, sur les trottoirs, par de petites voitures militaires allemandes, les Kubelwagen ancêtres de la Jeep.


[à suivre]

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