[Charles le bellevillois] 30 avenue Henri IV, le Vert-Galant
jeudi 22 février 2007
Enfance banlieusarde – Le Vert-Galant, 1924-1935
Episode précédent : Petite enfance parisienne, 1920-1923
Premier épisode: Charles de Belleville
" … ils sont pauvres au début de leur vie "
La mauvaise santé de ma mère et la préservation de la mienne, conduisirent les médecins à conseiller l'éloignement de Paris.
Depuis la fin de la guerre, des lotissements poussaient en banlieue comme des champignons. Mon père se laissa convaincre et souscrivit en 1923, à l’achat d’un terrain de 300 m2 dans un quartier voué aux anciens combattants. Il y installa une baraque neuve qui sentait bon le sapin. C’était une unique pièce d’environ 20 m2, sans plafond, posée sur un alignement rectangulaire de parpaings. Au cours des années, mon père doubla la paroi intérieure avec des carreaux de plâtre et l’extérieure de plaques de fibrociment, puis fit couvrir le toit de tuiles. Il construisit ensuite une véranda en L, accolant la chambre pour constituer salle à manger, cuisine et couloir. Celui-ci s’encombra d’une penderie puis, quand j’eus treize ans, s’équipa d’un « cosycorner » pour devenir ma chambre.
Mon père avait quelquefois fait appel à un maçon, mais il construisit presque tout, seul, ajoutant sur l’arrière un grand hangar pour la lessive, le bricolage et le stockage du charbon. Tout en longueur, le jardin – potager ! – était bordé par une épaisse haie de troènes en façade et séparé des voisins par les classiques clôtures en lattes de châtaignier. Au fond, à trente mètres, sur un mur de briques, s’adossait une cabane en bois pour les commodités… bien peu commode en hiver surtout !
Deux chiens, un fox-terrier Dick et un briard Turc, au pelage frisé, long, clair et au terrible aspect, tiraient sur leurs chaînes en jaillissant de leur niche, à tout passage dans la rue. Deux chats, un noir et un blanc complétèrent la ménagerie. Maison et jardin constituaient le numéro 30 de l’ « Avenue » Henri IV, au Vert-Galant, lieu-dit à vingt kilomètres au nord-est de Paris, coincé entre Villepinte, Tremblay-lès-Gonesse et Vaujours. Certains jours, par temps clair, on pouvait apercevoir la tour Eiffel, minuscule trait d’ombre dans l’axe de la rue. Ce fut un événement quand Citroën l’illumina le soir pour sa publicité.
À un bon kilomètre de la maison, passait la ligne de chemin de fer Paris-Meaux devenue, un demi-siècle plus tard, le RER B. Les vieux trains, omnibus à vapeur, s’arrêtaient en pleine voie, sans gare ni quais au début, juste avant le passage à niveau. Les voyageurs rangeaient leurs bottes crottées dans la cahute du garde-barrière, pour enfiler leurs chaussures de ville, avant d’escalader difficilement le remblai des voies et les hauts marchepieds des compartiments en bois de IIIème classe.
Parallèle à la voie, entre deux immenses buttes boisées, le napoléonien canal de l’Ourcq constituait l’unique promenade du dimanche. Tirées par des chevaux, des péniches remontaient le fort courant. L’été, une baignade improvisée, boueuse et bruyante, attirait la jeunesse et les promeneurs.
Notre voisin, mon futur beau-père Émilien Duval, nous y apprit à nager à Suzel et moi quand nous fûmes assez grands.
Beaucoup plus près, presque au bout de la rue, bordé par des champs de blé, c’était « le bois », terrain d’aventure de ma jeunesse et reste important de la forêt de Saint-Denis où avait, disait-on, chassé le bon roi Henri, amateur de gibier et de nymphes. Dans les premières années de notre arrivée, chevreuils et lapins gambadaient encore à la lisière, à quelques centaines de mètres du jardin.
L’eau courante ne fut installée qu’au bout de cinq ou six années et l’électricité plus tard encore ! Au début, on tirait l’eau de grandes pompes à balancier. Il y en avait deux pour toute la rue, sur le trottoir d’en face. Il fallait filtrer cette eau pour la boire. Nous nous éclairions avec une unique lampe à pétrole dont la mèche fumait assez souvent. Les soirs d’hiver, la maison était plongée dans le noir, excepté le rond de lumière jaune où je m’appliquais sur mon cahier avec une plume « sergent-major » trempée dans l’encre violette d’un petit encrier. On se chauffait au charbon, plus précisément à ses variétés, anthracite anglais ou de la Ruhr, « tête de moineau » ou boulets qui puaient le goudron. Il fallait en stocker, chaque été, une à deux tonnes pour alimenter la cuisinière et le « Godin » de la chambre qui, s’emballant, rougeoya et même blanchit fort dangereusement plus d’une fois durant nos sommeils hivernaux. Tardivement, dans les années trente, le butane en bouteille vint alimenter un réchaud pour éviter d’allumer la cuisinière en été.
Encore sans électricité, nous avions déjà la TSF ! très grande rareté dans le voisinage. Ma tante Marie et mon oncle Georges Gastebois, le photographe de Choisy-le-Roi, nous gratifiaient de leurs vieux postes à la sortie des innovations. Nous eûmes successivement, deux postes à self mobile avec haut-parleur en papier plissé comme un éventail. Mon père avait tendu une antenne double de vingt mètres entre le toit de la maison et un poteau au fond du jardin. Le courant était fourni par des piles au début, puis par deux accumulateurs qu’il fallait faire recharger. La réception était parfaite et, dans mon souvenir, bien meilleure qu’aujourd’hui. Aucun parasite, un son pur, la musique m’enchantait. Nous écoutions le Poste-Parisien, son concurrent Radio-Paris et captions parfois quelque émetteur étranger. En peu d’années, le progrès des ondes galopa et nous fîmes, finalement, l’acquisition d’un poste « superhétérodyne », branché enfin, sur le secteur. Tout le monde eut bientôt la TSF et les échos tonitruants du commentateur politique de l’époque, BENAZET, me poursuivaient sur le chemin de l’école.
Et il y eut le cinéma. Une très grande salle en béton, avec balcon, style « années 30 » fut bâtie à Tremblay-lès-Gonesse au-delà du canal, là où le samedi après-midi se tenait le marché. Nous y allions en famille chaque samedi soir. Le programme changeait toutes les semaines, un entracte précédé parfois d’attractions, séparait actualités, premier film de second ordre, documentaire et bande-annonce, du grand film impatiemment attendu. Beaucoup de westerns,
tous les Chaplin, Keaton et Tarzan, des drames naturalistes, tragédies bourgeoises chères au théâtre de boulevard, et aussi des romances – opérettes franco-germaniques avec Henri Garat ou Albert Préjan et les premiers dessins animés. Tout ça en noir et blanc avant la couleur, précédé du parlant. La musique éclatait en fin de séance, au retour de la lumière. Toujours entraînante, elle accélérait par ses rythmes, l’évacuation de la salle.