[Jeu] C'est quoi ça ?
Savez-vous toquer les oeufs ?

Charles de Belleville

"A Tilly fille de Charles le bellevillois", dédicace de Daniel Pennac sur mon exemplaire de son roman  Monsieur Malaucène

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A Claire aussi, fille de Charles et de Suzel, et à Jean-Luc. C'est Claire qui a formatté le manuscrit illustré de photos de Papa. Il reste encore quelques retouches à faire, et nous irons le faire photocopier sous une belle couverture.

Nous avons été tous trois très émus de découvrir les "Réminiscences autobiographiques" de notre père, dont nous pensions assez bien connaître les origines et les principaux épisodes de la vie.

J'ai eu envie de prêter mon blogue à Charles Bayard, né en 1920, et de publier ici de larges extraits de ses souvenirs au fil de plusieurs notes. Il est d'accord, et m'a seulement demandé de "flouter" les noms de quelques personnages qui ont traversé son existence et qu'il décrit comme étant peu sympathiques ou ridicules.

Voici "ses" premières lignes...

 

Petite enfance parisienne, 1920-1923
“… le signe de la Vierge influence la période entre le 23 août et le 22 septembre. ”

Mon père, blessé de guerre dès août 1914, réformé après plus de trois années de séjours dans les hôpitaux militaires, marchait en boitant, avec une canne. Il travaillait comme manoeuvre à la Compagnie Générale des Omnibus, rue Championnet dans le XVIIIe arrondissement. Ma mère y avait été employée comme manutentionnaire à la fabrication des obus durant la guerre. Son frère aîné Georges avait épousé en 1913, Eugénie l'une des nombreuses soeurs de mon père.

Mes parents se marièrent en 1918. Alors qu'à l'époque les naissances avaient lieu pour la plupart à domicile, je naquis à l'hôpital Lariboisière, le mardi 24 août 1920 à 16 heures. Ma mère y fut l'objet de soins attentifs car un an plus tôt un dramatique accouchement avait gravement compromis sa santé et massacré aux forceps mon frère aîné Louis qui ne vécut que trois semaines. Et c'est le célèbre Docteur Robert Debré qui me mit au monde. Était-il resté attaché à la
phrénologie ? Devant un cercle d'infirmières béates, il aurait, palpant les bosses de mon crâne chauve, formulé de flatteuses prédictions sur mes capacités futures. Charles_bb_1921

Ma prime enfance se passa au 38 rue du Ruisseau, quartier Clignancourt du XVIIIe arrondissement de Paris, dans un petit appartement d'une pièce au dernier palier du bâtiment de l'arrière-cour. Mes premiers souvenirs viennent de la fenêtre, mon observatoire favori. Grimpé sur une chaise, j'y guettais, intrigué, l'ombre rapide projetée sur le mur ensoleillé d'en face au passage d'un moineau. J'escaladais beaucoup : le buffet qui oscillait dangereusement sous mes prises, la chaise cannée dont la paille finalement creva sous mes pieds. Ma lèvre inférieure, traversée par mes toutes neuves incisives, conserve depuis plus de quatre-vingts ans, la cicatrice de cette chute.

Objet de ma surveillance, la cour retentissait de conversations de voisines et de concerts donnés par les chanteurs ambulants. Un très vieil homme revenait souvent et faisait recette en clamant une patriotique rengaine :
“ Ils ont brisé mon violon
Parce que j'ai l'âme française
Et que, sans peur, aux échos des vallons,
J'ai fait chanter la Marseillaise ”
J'ai toujours en mémoire, musique et paroles de ce refrain avec des bribes de ses héroïques couplets.

Ma mère me promenait dans une voiture d'enfant, l'époque ne connaissait pas encore les poussettes. Nous allions l'après-midi « au square ». Montmartre n'offre guère que ses boulevards à la promenade. Un cabaret dénommé « l'Enfer » y exposait l'épouvantable vision rouge et noire de son entrée en plâtre modelé et peint, haute d'un étage et figurant la gueule ouverte d'un diable affreux. La caisse s'abritait entre les crocs et l'accès sous les amygdales ! Un peu plus loin, le bleu ciel du « Paradis » ne calmait pas les très jeunes passants. La chaussée s'encombrait alors de fiacres, de tramways et de quelques autos bien moins nombreuses mais beaucoup plus bruyantes qu'aujourd'hui.

[à suivre]

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