Hier, 11 heures et des poussières, RER C, entre Javel et Saint-Quentin-en-Yvelines. Cela faisait un moment que je n'avais pas fait le trajet, alors que pendant presque quinze ans (mars 1989 - février 2004), c'était deux fois par jour. Au début j'ai pas remarqué le type face à moi, deux banquettes devant. Je pensais évidemment à mon blogue, et à la chouette chronique ordinaire que j'aurais pu tenir si j'en avais eu un plus tôt (blog). J'aurais raconté :
- la dame qui tricotait au début, puis qui brodait ensuite des nappes immenses et serviettes assorties avec des mimosas dessus, tous les jours
- les rencontres et amitiés (Armelle installée au Puy-en-Velais, Michael reparti à Seattle, avec qui je corresponds toujours). Tiens je vais leur dire que j'ai un blogue, que c'est un peu ce qui remplace toutes ces petites conversations qu'on croit sans importance, mais qui me manquent beaucoup maintenant et que je compense ici
- les arbres fracassés des bois de Saint-Cyr après la tempête de décembre 1999
- comment j'allais au bout du quai de Javel pour chanter à tue-tête les morceaux que j'étudiais aux cours de jazz de l'ariam
- les couleurs d'incendie des levers de soleil sur Meudon, parfois
- les jardins ouvriers le long des voies avant Chaville-Velizy au printemps, et les campements des SDF dans les bois de Versailles, l'hiver (je me suis demandé si ce n'est pas là que dimanche dernier le froid et la misère en ont tué un)
- la vue sur la pièce d'eau des Suisses et le chateau de Versailles juste avant d'arriver à Saint-Cyr (sauf l'été, avec les feuillages des arbres on ne voit presque plus rien)
- celle de la Tour Eiffel qui étincelle au retour quand le train est sur le viaduc d'Issy-Les-Moulineaux
Il y avait tout de même ce courriel récurrent (je dirais 4, 6 fois par an en moyenne) que je composais les petits matins de galère sociale et que je postais en arrivant au bureau :
Subject: Pour les perturbés du RER C, ce JJ-MM-AA
J'y donnais les horaires de retour susceptibles de modification (sic) que j'avais relevés sur les feuilles affichées dans la gare. Je ne sais pas si quelqu'un d'autre fait ça, maintenant.
Quand j'ai quitté ma globosphère blogosphère rêvée, et repris pied dans la réalité, j'avais oublié le paysage, le wagon, où j'allais et pourquoi. Faire gaffe, comme le dit Cyrille
à ne pas voir dans tout et dans rien le sujet d'une notule à piéger et faire se pâmer un nouveau lecteur. Mais l'un dans l'autre et comme y'a pas de mal à se faire du bien, je continue, pour moi, na.
C'est à ce moment, on arrivait à Viroflay, que le type deux banquettes devant a retenu mon attention. Il était dans sa *sphère à lui, qui consistait à se montrer à lui-même comme il était bon dans son rôle d'organisateur institutionnel. J'explique. Entre Viroflay et SQY, il a monté trois-quatre réunions différentes pour "faire le point sur ***", dans la journée. J'imaginais la tête et les réactions des convoqués à l'autre bout de la communicaton. En deux stations, il a refait au téléphone tout le process de management de l'information de sa boîte, et dit que ça suffisait ces mails, qu'il fallait revenir à la diffusion papier ! Sans doute que j'ouvrais des yeux ronds comme des flans et que j'avais un petit sourire cynico-pas-entendu-du-tout en le regardant et en l'écoutant dégoiser. J'ai eu un peu peur ou honte (j'écrivais déjà cette note dans ma tête) quand il m'a soudain fixée, sans interrompre son flux d'instructions cominatoires à destination du pauvre Paul. J'ai tourné la tête, et tiens on passait juste devant le chateau, et avec ce beau temps sec et froid l'éclairage était sublime.